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SUZANNE NORMIS.

rent, les lignes de toute sa personne s’étaient remplies, des courbes Harmonieuses remplaçaient les formes un peu grêles de l’adolescence. Quand je la voyais venir à moi avec son sourire adorable, ses yeux désormais pensifs, même au milieu de leur joie naïve, ses mains blanches et fines nouées sous une gerbe de fleurs :

— Qu’adviendra-t-il, me disais-je, de cette beauté rayonnante, de cette fleur de jeunesse ? Va-t-elle se dessécher lentement, comme les arbres qui ne donnent point de fruit ? Faut-il que cette admirable créature, si bien faite pour inspirer l’amour, ne doive ni le permettre ni le ressentir ?

Et un vague chagrin de grand-père me saisissait le cœur. Il me semblait qu’auprès du berceau des enfants de Suzanne j’eusse retrouvé les douceurs oubliées de ma jeunesse évanouie.

C’était à M. de Lincy que je m’en prenais dans ces heures de tristesse : à force de le mépriser, je venais parfois à bout de le plaindre ; Pauvre homme en effet que celui qui n’avait pas su respecter en Suzanne l’épouse accomplie, adorable, qui fût éclose sous ses yeux, s’il l’eût Voulu ! J’aurais désiré parfois qu’il la vit telle qu’elle était devenue, afin de l’écraser de ses