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Page:Gréville - Suzanne Normis, roman d'un père, 1877.djvu/293

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ROMAN D’UN PÈRE.

s’approcha de moi, passant sa main sur mon bras avec cette câlinerie irrésistible qui lui était restée de son enfance.

— Vois-tu, père, dit-elle, depuis trois ans, j’ai été bien malheureuse ; me suis-je jamais plainte ? Ai-je manqué de courage ? Voici un rayon de joie qui me vient du ciel ; je me croyais condamnée à l’éternelle solitude ; toi et moi, nous devions voguer à jamais par le monde sans port et sans asile ; nous avons trouvé un ami, j’ai trouvé le repos… Veux-tu m’enlever le seul bonheur que je doive jamais connaître, celui d’aimer dans le présent, de toute la pureté de mon âme, avec le devoir et l’honneur pour étoiles ? Dis, le veux-tu ?

Elle me regardait avec des yeux de femme mûrie par la douleur, et qui sait ce qu’elle veut…

— Fais ce que tu voudras, lui dis-je, je t’ai mal mariée, je n’ai pas le droit de te contraindre.

Je sortis du salon, mais je n’avais pas eu le temps d’aller jusqu’à l’escalier, quand je sentis la main de Maurice me retenir :

— Je pars, monsieur Normis, dit-il, je m’en irai demain, venez assister à nos adieux.

Je rentrai. Suzanne vint à ma rencontre, et