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SUZANNE NORMIS.

semblait que son souffle enfantin passait dans mes veines avec la force et la vie renouvelées.

— C’est toi qui es mon enfant, me disait-elle à tout moment. Sois bien sage, et ne défais pas ta couverture !

Elle me lisait de longs passages de mes auteurs favoris, des nôtres, devrais-je dire, car nous avions tout mis en commun : je goûtais ses récits de voyages, et elle appréciait les passages choisis de mon vieux Montaigne. Loin de professer l’horreur conventionnelle pour les ouvrages qui pouvaient ouvrir son esprit à des questions qu’on interdit aux jeunes filles, je m’efforçais par une pente insensiblement graduée de lui faire comprendre combien le mariage est chose sérieuse et irrévocable, combien l’amour est respectable et sacré, quels droits et quels devoirs la loi donne à la femme… elle comprenait tout et s’assimilait lentement, sans curiosité, les idées de mariage et de maternité. Pourquoi eût-elle été curieuse ? Elle ne savait pas qu’il y eût quelque chose à cacher !

L’amour pour elle, c’était mon union avec sa mère : le bonheur complet, réalisable sur la terre, de vivre avec un compagnon aimé, auquel on dit tout, qu’on associe à toutes ses pensées, à tous ses actes, près duquel on dort, pour ne