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Page:Grad - L'Alsace, le pays et ses habitants - 1909.pdf/29

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par des poutres dessinent un angle en formant le toit. Au lieu de tuiles, ce toit est recouvert d’écorces. Pour faire la cuisine à l’intérieur, il y a un foyer ménagé dans l’un des coins contre le rocher. Un trou dans le toit livre passage à la fumée bleuâtre et aux vapeurs que nous voyons trembloter au-dessus. Une planche retient les cendres du foyer. Une autre planche encore sert de cadre au lit. Quel lit ! sans matelas, ni oreiller, ni couverture, ni édredon, ni draps. Dans les cabanes de bûcherons on se couche sur de simples ramilles de sapins entassées derrière la planche que nous avons indiquée. On y dort dans ses vêtements, comme les animaux dans leur fourrure.

Ces huttes, de la simplicité la plus primitive, sont remplacées sur certains points par des baraques quadrilatérales faites avec des arbres en billes couchées les unes sur les autres, avec des buches de chauffage et des planches. Alors la construction exige plus d’art, mais elle reste si basse qu’un homme de grande taille ne peut s’y tenir debout. Des encadrements de planches dessinent autour de la pièce une sorte de divan rustique. Voulez-vous entrer par la porte, vous êtes obligé de vous plier en deux. Au milieu se trouve le foyer en pierres sur lequel se place le chaudron ou la poêle, et dont la fumée s’échappe par une sorte de cheminée, où des bûches entremêlées ferment le passage à la pluie et au vent. L’emploi du poêle en fonte en place du foyer primitif est rare. Ordinairement les bûcherons préfèrent un feu libre dont la flamme danse gaiement à leur vue, dont les reflets empourprent les parois de la baraque pendant les veillées. De tous les coins se dégage une odeur de résine qui remplit l’intérieur.

Quand le jour baisse, quand la voix lointaine du torrent gronde seule dans les profondeurs, ou mêle sa voix monotone au murmure des rameaux, l’ouvrier forestier rentre au gite pour préparer le repas du soir : préparatifs aussi simples que le menu accoutumé, composé de pommes de terre rôties sous la cendre ou cuites dans l’eau, sans beurre. Pour varier, il y a la soupe avec un peu de lard, du pain noir, et avec les pommes de terre un peu de fromage, mais point de lait. La boisson habituelle est l’eau pure de source ; quelquefois de l’eau-de-vie, ce méchant schnapps prussien tiré des pommes de terre ou de blé distillé, car le vin coûte trop cher aux forestiers pour en boire pendant la semaine. Avec cela point de table à mettre ni à défaire, car chacun mange sur ses genoux. Après souper on allume sa bonne pipe. On cause un petit peu. Puis vient le sommeil, appelé par la fatigue, sur la couche de ramilles. Au lever du jour, avant l’apparition du soleil, dès que l’aube blanchit, le travail reprend, dur, âpre, excessif, le même un jour comme l’autre, toute la semaine durant. L’ouvrier forestier ne rentre à la maison et ne reste dans sa famille que le dimanche, à moins d’un temps trop mauvais, du samedi soir au