Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/282

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Une ère de douleurs venait de s’ouvrir pour les Judéens à Babylone, comme jadis pour leurs ancêtres en Égypte, avec cette différence toutefois qu’au lieu de corvées aux champs et aux constructions, c’étaient la prison et la mort qui les attendaient, et que ceux qui reniaient leur nationalité demeuraient saufs. Sur cette terre d’exil aussi, les plaintes des Judéens montèrent vers le ciel. Les psaumes composés à cette époque reflètent, avec la tristesse de ces martyrs, les espérances qui s’y mêlaient. Plusieurs prophètes, avec une précision qui tient du prodige, annoncèrent la chute prochaine de Babylone et la délivrance des captifs. Deux d’entre eux ont laissé des discours qui ne le cèdent en rien aux meilleurs monuments des générations prophétiques antérieures. L’un surtout a déployé une telle vigueur, une telle richesse de poésie, que ses œuvres comptent parmi les plus belles, et non pas de la littérature hébraïque seulement.

C’est au moment où Cyrus entreprenait enfin son expédition, depuis longtemps projetée, contre Babylone et où le cœur des exilés palpitait dans les fièvres de l’attente, que cet homme de Dieu fit entendre sa mâle parole, dont la chaude énergie n’a point d’égale en ce genre d’éloquence. Si la perfection d’une œuvre d’art consiste dans cet accord absolu de la pensée et de l’expression qui permet d’en embrasser toute la profondeur et la rend saisissable à toutes les intelligences, la longue suite des discours de celui que, faute de connaître son nom, l’on appelle le Second Isaïe ou l’Isaïe de Babylone, est un chef-d’œuvre sans rival. Il unit la fécondité de la pensée à l’élégance de la forme, la puissance qui entraîne à la douceur qui attendrit, l’unité à la diversité, l’élan poétique à la simplicité, et le tout en un style si noble, avec une telle chaleur d’accent, que son œuvre, composée pour ses contemporains, s’applique à tous les âges et à toute époque saisit les cœurs. L’Isaïe de Babylone a voulu consoler ses compagnons de douleur, les soutenir en leur montrant dans un haut idéal le but de leur existence ; il a ainsi, pour tout homme intelligent et sensible, à quelque race et à quelque langue qu’il appartienne, conféré à la race souffrante d’Israël le douloureux privilège d’enseigner, à travers les siècles, comment un peuple peut-être à la fois grand et petit, persécuté à mort et pourtant immortel,