Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/53

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de l’univers est le même qui préside aux variables destinées des peuples, cette pensée est née chez un peuple qui a puisé dans son histoire et dans ses larges horizons l’intuition de l’extraordinaire et du merveilleux.

Sans doute, l’autre rive du Jourdain, le Galaad, jadis possession des rois Sichon et Og, depuis échu à deux tribus et demie, offrait, lui aussi, de saisissants spectacles ; de ses hauteurs aussi, l’œil peut embrasser de vastes étendues. Mais on n’y contemple point la mer houleuse et mugissante, à peine un mince ruban de son azur. La poésie ne trouvait pas là le même excitant que dans la région opposée. Le Galaad n’a pas, que l’on sache, produit de poètes, et en fait de prophètes il n’en connut qu’un seul, âpre et sauvage comme ses solitudes et les gorges de ses montagnes. Le Jourdain n’était pas seulement une limite naturelle, c’était aussi une frontière morale. La Palestine citérieure avait d’ailleurs un autre avantage encore sur le Galaad : c’est que là, dès la conquête, les tribus avaient trouvé des places fortes et des cités organisées, base première de la société civile; le Galaad, au contraire, avait peu de villes, encore étaient-elles éparpillées.

Cependant le pays d’Israël était loin d’être entièrement conquis et partagé entre les tribus; des portions entières- étaient encore au pouvoir des indigènes. On ne saurait décider jusqu’à quel point Josué lui-même fut responsable de cet état de choses, qui laissait la conquête inachevée. Sa vieillesse ne resta pas aussi verte que l’avait été celle de son maître Moise, et sa main défaillante semble avoir laissé échapper la verge du commandement. Mais ce fut certainement la tribu d’Éphraïm et, à sa suite, celle de Manassé qui enrayèrent l’élan guerrier de la nation. Voyant ces tribus, en possession des meilleures provinces, se reposer sur leurs lauriers, le reste du peuple, lui aussi, ne songea plus qu’à la possession et au repos, et remit l’épée au fourreau. La première fougue de la conquête une fois passée, on ne voit plus qu’aucune entreprise collective se soit organisée. Chaque tribu et chaque fraction de tribu n’ont plus à compter que sur elles-mêmes. Ainsi isolées, ce n’est plus chose facile pour elles de s’arrondir aux dépens des anciens possesseurs.