Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/274

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imminente, il jouerait lui-même un rôle considérable. Du reste, Jésus peut avoir reconnu que, pour obtenir un résultat et ne pas prêcher dans le désert, comme avait fait Jean, il fallait s’adresser non pas à la nation judaïque en bloc, mais à une certaine classe seulement. L’exhortation à la pénitence n’avait guère de sens pour la partie moyenne du peuple, pour les habitants des villes. La réponse de certain jeune homme à Jésus : Dès ma jeunesse, j’ai observé les commandements de Dieu ; je n’ai tué, forniqué ni volé, ni rendu de faux témoignage ; j’ai honoré père et mère et aimé mon prochain comme moi-même, cette réponse reflète la situation morale du judaïsme de cette époque, pris dans sa classe moyenne. Les disciples de Schammaï et de Hillel, les partisans du zélateur Juda, les ennemis implacables des Hérodiens et des Romains, n’avaient point le cœur malade et n’avaient nul besoin de médecin. L’esprit de sacrifice, ils ne le possédaient que trop. Jésus n’eut donc garde, et avec raison, de chercher à les moraliser. Il ne songea pas davantage à réformer les mœurs des grands et des riches, des amis des Romains, des Hérodiens, qui auraient accueilli ses sermons avec raillerie et mépris. Au lieu de flageller leur orgueil, leur vénalité et leur indifférence, Jésus, mieux avisé, se tourna vers ceux que la société judaïque repoussait de son sein. Il y avait en effet de ces hommes qui n’avaient aucune notion des salutaires doctrines du judaïsme, de sa loi, de son histoire et de son avenir. Il y avait des violateurs de la Loi (abrianim), ou, comme on les appelait alors, des pécheurs, que leurs infractions religieuses avaient fait exclure de la société, et qui ne voulaient ou ne pouvaient y rentrer. Il y avait des péagers et des publicains que les patriotes évitaient, à cause de leur zèle outré pour les intérêts de Rome, et qui, tournant le dos à la Loi, menaient une vie dépravée, insoucieux du passé et de l’avenir de la nation. Il existait aussi une classe de gens ignares, de petits artisans, de domestiques (am ha-arets), qui avaient rarement occasion de venir à la capitale et d’entendre exposer les vérités de la religion, que d’ailleurs ils n’eussent point comprises. Ce n’était pas pour eux que le Sinaï s’était couronné de flammes, que les prophètes avaient déployé leur ardente éloquence. Les docteurs de la Loi, plus occupés de cultiver la doctrine que de