Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/302

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que, dans son assiette ordinaire, elle n’aurait pu percevoir.

Tel était l’homme que la communauté d’Alexandrie choisit pour plaider sa cause devant l’empereur. De son côté, la population païenne de la ville avait envoyé une députation pour empêcher les Judéens de recouvrer l’égalité des droits civiques. Cette députation avait pour chef Apion, l’ennemi juré des Judéens ; Isidore, ce venimeux personnage qu’on avait surnommé la plume de sang, en faisait également partie. Il ne s’agissait pas simplement des privilèges d’une corporation ; ce qui était en jeu, à vrai dire, c’était le maintien ou l’expulsion des Judéens. Pour la première fois le judaïsme entrait en lice avec le paganisme, dignement représentés par deux hommes qui avaient sucé, l’un et l’autre, le lait de la culture grecque. Si les deux religions avaient été jugées d’après leurs représentants, la balance aurait penché, sans aucun doute, en faveur du judaïsme. Philon, par sa dignité et sa sagesse, personnifiait bien l’aspiration à un idéal de vertu et de vérité. Apion, au contraire, frivole et acerbe, était l’image vivante de la jactance et de la présomption inhérentes à l’hellénisme dégénéré.

L’issue de cette lutte entre les païens et les Judéens d’Alexandrie est restée douteuse. Caligula, qui devait être leur arbitre, était lui-même partie dans la cause, et partie passionnée. Il haïssait les Judéens parce qu’ils refusaient de le reconnaître et de l’adorer comme un dieu. Deux misérables, que Caligula avait tirés de la fange pour les associer à ses débauches, aiguillonnaient encore sa haine, déjà assez violente : c’étaient l’Égyptien Hélicon et Apelles d’Ascalon, tous deux ennemis jurés des Judéens. Toujours aux côtés de Caligula, et maîtres de sa confiance, ils lui eurent bientôt soufflé au cœur leur rage anti-judaïque. Lorsque les ambassadeurs des Judéens furent reçus en audience, ils purent à peine se faire écouter. Caligula les accueillit, dès le début, avec cette aigre apostrophe : C’est donc vous ces contempteurs des dieux qui ne voulez pas me reconnaître comme tel, préférant diviniser un être sans nom, tandis que tous m’adorent ! Sur quoi les ambassadeurs protestèrent qu’en trois circonstances les Judéens avaient offert des sacrifices d’actions de grâces : lors de son avènement au trône, de son rétablissement d’une maladie et de sa fameuse victoire sur les Germains : Soit, interrompit l’empereur, vous