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une influence prépondérante sur le judaïsme. La Mischna devint, à côté de l’Écriture sainte, la source principale qui alimentait les écoles religieuses ; souvent même, elle supplantait la Tora et la reléguait au second plan. Elle devint le lien moral qui maintenait l’unité parmi les membres disséminés de la nation juive. La Mischna, œuvre du patriarcat, qui lui assura l’existence et l’autorité religieuse, tua en quelque sorte le pouvoir qui l’avait produite. À mesure que l’influence de la Mischna grandissait et se développait, l’autorité du patriarcat déclinait et disparaissait.

L’apparition de la Mischna mit un terme à l’activité créatrice des Tannaïtes et marqua la fin de la période de ces docteurs. « Nathan et Juda sont les derniers des Tannaïtes, » a dit une chronique sibylline (le livre apocryphe d’Adam). Il devenait nécessaire, dès lors, d’inaugurer un nouveau genre de recherches et d’études qui n’eût pas de ressemblance avec la méthode des Tannaïtes.

Des historiens ont prétendu que les Judéens vivaient tranquilles et heureux à l’époque où parut la Mischna. Cette assertion n’est pas juste. Marc-Aurèle lui-même, le philosophe couronné, le meilleur et le plus honnête des empereurs romains, n’éleva aucune protestation contre les persécutions auxquelles les soumit celui qui partageait avec lui le pouvoir impérial, Lucius Verus. Et cependant, au moment où ces persécutions eurent lieu, Juda occupait déjà la dignité de patriarche. Lorsque, plus tard, Marc-Aurèle, qui traversait la Palestine pour combattre un prétendant au trône, Avidus Cassius (175), fut entouré par des Judéens qui lui demandèrent tumultueusement d’alléger le joug que son collègue faisait peser sur eux, il s’écria : Ô Marcomans, ô Quades et Sarmates, j’ai enfin vu une nation plus remuante que vous ![1] Malgré son éducation philosophique, ou, pour mieux dire, ses connaissances en philosophie, cet empereur était trop imbu des préjugés romains, il vénérait trop les dieux de l’ancienne Rome

  1. Ammien Marcellin XXII, 3, raconte de Marc-Aurèle : Ille enim (Marcus Aurelius) quum Palaestinam transiret Ægyptum petens, petentium judæortun et tumultuantium sæpe percitus dolentes dicitur exclamasse : O Marcommani, o Quadi, o Sarmatæ, tandem alios vobis inquietiores inveni ! Un moine, ennemi des juifs, a remplacé le mot petentium (suppliants) par fœtentium (puants). De là ce préjugé qui a existé pendant des siècles que les Juifs ont une mauvaise odeur de naissance.