tienne, comme auparavant auprès des païens, d’une très grande considération. Pour les chrétiens espagnols, pas plus que pour les chrétiens romains, les Juifs n’étaient encore des réprouvés dont il fallait éviter le contact ; les croyants des deux religions vivaient ensemble en parfaite harmonie. Les habitants chrétiens, qui ne savaient pas quel abîme séparait le christianisme du judaïsme, faisaient bénir les récoltes de leurs champs indistinctement par les rabbins juifs ou les prêtres chrétiens. Juifs et chrétiens se mariaient souvent entre eux, comme cela avait lieu dans les Gaules.
Aux yeux du haut clergé, ces bons rapports entre les adeptes des deux religions constituaient un danger pour l’Église encore mal affermie. Ce sont les chefs de l’Église catholique d’Espagne qui, les premiers, tracèrent une séparation entre les chrétiens et les Juifs. Le concile d’Elvire (vers 320), présidé par Osius, évêque de Cordoue et conseiller intime de l’empereur Constantin, défendit aux chrétiens, sous peine d’être exclus de la communauté, d’entretenir des relations d’amitié avec les Juifs, de contracter mariage avec eux et de faire bénir par eux les fruits de leurs champs.
Cependant, ces germes de haine que le concile d’Elvire sema en Espagne ne portèrent pas immédiatement leurs fruits empoisonnés. C’est que les Visigoths, qui avaient définitivement pris possession de l’Espagne après que ce pays eût été successivement envahi et ravagé par divers peuples barbares, suivaient l’hérésie arienne. Peu leur importait, au fond, que le fils de Dieu fût égal ou semblable au père et que l’évêque Arius fût hérétique ou orthodoxe, mais ils haïssaient profondément les catholiques, anciens habitants du pays, parce qu’ils voyaient dans tout catholique un Romain, c’est-à-dire un ennemi. Les Visigoths faisaient donc peser lourdement leur joug sur les catholiques, mais ils laissaient les Juifs en possession de leurs droits civils et politiques, les admettaient aux fonctions publiques et leur permettaient de circoncire leurs esclaves païens et chrétiens.
Cette situation prospère des Juifs d’Espagne dura plus d’un siècle, tant que l’Espagne fut une province de l’empire tolosano-visigoth, et plus tard encore, quand ce pays fut devenu, sous Theudès (531), le centre de la puissance wisigothe. Les Juifs de la province de Narbonne et de la région de l’Afrique qui faisait par-