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le khalife Almamoun l’éleva au rang de théologie officielle. Les musulmans orthodoxes, effrayés d’une interprétation qui souvent changeait totalement la signification plausible du texte, s’attachèrent étroitement à la lettre et au sens naturel du Coran. Il y en eut qui acceptèrent à la lettre tout ce que le Coran et la tradition disaient de Dieu, comme, par exemple, cette révélation de Mahomet : « Mon Seigneur vint à ma rencontre, il me salua en me tendant la main, me regarda en face, posa sa main entre mes épaules, et je sentis le froid des extrémités de ses doigts. » Cette école (les anthropomorphistes) déclara sans hésitation que Dieu était un corps muni d’organes, long de sept empans, mesurés d’après son propre empan, qu’il avait une forme, était assis sur un trône, montait, descendait, marchait et se reposait. Voilà comment l’orthodoxie musulmane représentait la divinité.

Comme il était à prévoir, ces discussions religieuses trouvèrent de l’écho chez les Juifs de l’Orient, les caraïtes suivirent la doctrine motazilite (rationaliste), tandis que bien des rabbanites adoptèrent les idées des anthropomorphistes. Le premier caraïte qui, à ce qu’on sache, appliqua au judaïsme le système des motazilites fut Jehuda Judghan le Perse, de Hamadan (vers 800). D’après ses adversaires, il était à l’origine conducteur de chameaux. Se présentant comme le précurseur du Messie, il exposa sur l’être divin des pensées originales, qui étaient en contradiction avec les idées reçues, déclara qu’il était défendu de se représenter Dieu sous une forme matérielle, parce que Dieu est au-dessus de toute créature, et ajouta que les expressions de la Thora qui peuvent faire croire que Dieu a une forme ou des attributs doivent être pris au figuré. Selon lui, il était également défendu d’admettre que Dieu, dans sa toute-puissance et sa prescience, détermine d’avance les actions humaines ; puisque Dieu est un être juste et qu’il récompense et punit, il faut nécessairement que l’homme soit libre de ses actes. Pour la pratique, Jehuda le Perse recommandait une vie ascétique, défendait de manger de la viande et de boire du vin, ordonnait de jeûner et de prier fréquemment. Ses partisans, connus sous le nom de judghanites, eurent une telle foi dans leur maître qu’ils ne crurent pas à sa mort, ils étaient convaincus qu’il reviendrait pour enseigner une