Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/105

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portant une couronne d’épines qui lui inflige mille souffrances, tantôt entouré d’une auréole qui le fait briller d’un éclat divin. En lisant ces chants magiques, on partage malgré soi l’amère douleur et les joyeuses espérances de l’auteur, et on est profondément impressionné par ces accents éloquents, où la conviction se môle à la plus vive exaltation.

Pour réaliser son désir de se rendre en Palestine, Juda Hallévi ne craignit pas de transformer son existence calme et tranquille en une vie d’aventures et de dangers. Il abandonna son école de Tolède ; qu’il avait fondée, ses nombreux disciples, auxquels il était très attaché, ses amis, sa fille unique et son petit-fils, qu’il chérissait tendrement, il sacrifia tout à son amour pour Dieu, à sa passion pour la Terre Sainte.

Son voyage à travers l’Espagne ressembla à une marche triomphale. Dans toutes les villes où il passait, ses nombreux admirateurs lui prodiguaient les témoignages de leur respect et de leur sympathie. Accompagné de quelques amis, il s’embarqua (vers 1141) sur un navire se dirigeant vers l’Égypte. Exposé aux railleries de matelots grossiers, brisé par la fatigue, malade, il avait l’énergie d’oublier ses souffrances pour s’élever jusqu’aux régions du rêve et de la poésie. Au milieu d’effroyables tempêtes, qui imprimèrent au navire les plus terribles secousses et le mirent à deux doigts de sa perte, il composa d’admirables chants de mer.

Retardé par des vents contraires, le navire n’entra dans le port d’Alexandrie (Égypte) que vers la fête des Cabanes, en septembre. Juda Hallévi avait la ferme résolution de ne s’arrêter en Égypte que très peu de temps et de reprendre au plus tôt son pieux pèlerinage. Dès que son arrivée fut connue, de nombreux Juifs vinrent lui apporter le témoignage de leur admiration. L’homme le plus considérable d’Alexandrie, Aron ben Zion ibn Alamàni, rabbin et médecin, l’accueillit avec ses compagnons, et, grâce à ses prévenances, sa large hospitalité et son affectueuse insistance, il parvint à le retenir pendant trois mois, jusqu’à la fête de Hanouca. S’arrachant avec peine à l’affection de si bons amis, Juda se décida enfin à partir pour Damiette, où il voulait rendre visite à Abou Saïd ben Halfon Hallévi, qu’il avait déjà connu en Espagne.