Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/268

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par le souvenir des persécutions sanglantes amenées par les Pastoureaux et l’accusation des lépreux.

Dans la ville de Rome, que Robert d’Anjou lui avait désignée pour résidence, Kalonymos vivait dans un milieu gai, spirituel, où sa verve se retrempait et s’aiguisait. C’est là qu’il composa pour le carnaval juif un traité de Pourim, où il imite, avec infiniment d’esprit, la méthode, les controverses subtiles et les nombreuses digressions du Talmud. Cette fine parodie, qu’on peut aussi bien prendre pour une simple farce de carnaval que pour une satire du Talmud, soulève à chaque ligne de joyeux éclats de rire.

Les qualités de Kalonymos se retrouvaient à un degré supérieur chez son ami et admirateur Immanuel ben Salomon Romi (né vers 1265 et mort vers 1330). Ce satirique est une apparition bien curieuse et bien originale parmi les Juifs du moyen âge. II appartient à cette catégorie d’auteurs dont les écrits sont plus amusants que vertueux et dont la verve endiablée, les joyeux propos et l’ironie mordante savent tenir constamment en haleine l’attention et la gaieté du lecteur. C’était le Henri Heine juif du moyen âge. D’une imagination fertile, il abonde en inventions et en drôleries de toutes sortes. Et toutes ces farces sont écrites dans la langue des prophètes et des psaumes. Aucun des prédécesseurs d’Immanuel n’a su, comme lui, tirer des fusées d’esprit en hébreu, mais il faut ajouter qu’aucun, autant que lui, n’a profané le caractère sacré de cette langue. La Muse juive, auparavant si chaste, si modeste, si réservée, est devenue avec Immanuel une ballerine court vêtue qui cherche à attirer sur elle les regards des passants, et à laquelle il fait parler un langage choquant et impudique. Aussi, ses chansons et ses contes pourraient-ils agir sur la jeunesse de la façon la plus désastreuse. Il ne faudrait cependant pas en conclure qu’Immanuel était vraiment le pécheur endurci sous les traits duquel il se dépeint lui-même, comme l’a fait plus tard Henri Heine, et qu’il consacrait tout son temps à nouer des relations amoureuses, à courir les belles et railler les laiderons. Sa langue et sa plumé seules péchaient, mais non son cœur et ses sens, et quoiqu’il fasse parfois un éloge exagéré de sa personne, on peut l’en croire quand il