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Gouvernée par le khalife Abdul Rahman III, l’Espagne était à cette époque un brillant centre d’activité intellectuelle. Avec ce prince commença en Espagne l’époque classique de la civilisation arabe, favorisée par le bien-être du peuple et la tolérance des souverains. En ce temps, les khalifes d’Espagne étaient, en effet, des souverains libres de préjugés, qui protégeaient tous les hommes de talent sans s’enquérir de leur religion. Ils estimaient particulièrement les favoris des Muses, les poètes aux chants mélodieux et spirituels. À leurs yeux, un beau poème avait plus de prix qu’une victoire. Le souverain trouvait des imitateurs jusque chez les moindres gouverneurs de province, qui s’honoraient de compter au nombre de leurs amis des savants et des poètes, et de leur servir des pensions pour les mettre à l’abri de toute préoccupation matérielle.

Un tel milieu agit fortement sur les Juifs. À l’exemple des Arabes, ils s’enthousiasmèrent pour la poésie et la science. Pour eux aussi, l’Espagne devint un jardin délicieux où fleurissait une belle et joyeuse poésie, le pays de l’étude et des recherches. Comme les mouzarabes, c’est-à-dire les chrétiens établis parmi les musulmans, ils se familiarisèrent avec la langue et la littérature des conquérants. Seulement chez les mouzarabes, l’assimilation avec les musulmans fut telle qu’ils oublièrent leur langue maternelle, le latin gothique, ne purent plus comprendre leurs livres religieux et renoncèrent même à leur foi. Les Juifs, au contraire, en acquérant des connaissances profanes, aimèrent encore d’un amour plus profond leur idiome, leurs livres sacrés et leurs croyances héréditaires. Grâce à ce concours de circonstances favorables, l’Espagne juive put d’abord se mesurer avec la Babylonie, lui enlever ensuite la direction du judaïsme et la conserver pendant près de cinq siècles.

Trois savants eurent le mérite de créer la civilisation hispano-juive : Moïse ben Hanok, que le hasard avait conduit à Cordoue ; le premier grammairien andalou, Menahem ben Sarouk ; et enfin le poète Dounasch ben Labrat. Mais les efforts de ces trois hommes auraient peut-être échoué s’ils n’avaient été secondés par une personnalité éminente, qui mit au service du judaïsme espagnol sa vaste intelligence et sa situation élevée. Cet homme était Abou Youssouf Hasdaï ben Isaac ibn Schaprout (né vers 915 et mort vers 970), de la famille d’Ibn Ezra. Il fut le premier de cette longue