Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/414

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Un jour qu’avant l’aube (15 sept. 1485) Arbues, une lanterne à la main, se rendait à l’église pour entendre la messe du matin, les conjurés se glissèrent derrière lui et, quand il fut agenouillé, le blessèrent grièvement. On le porta hors de l’église, couvert de sang, et deux jours après il mourut. La nouvelle de cet attentat produisit une profonde émotion à Saragosse. Au feu les chrétiens judaïsants qui ont assassiné le grand inquisiteur, criait-on de toutes parts. Tous les Marranes auraient été massacrés sans l’intervention de l’archevêque Alfonso de Aragon, qui parcourut la ville à cheval et conseilla le calme à la population, en lui promettant que les coupables seraient sévèrement châtiés.

Cette conspiration manquée eut pour effet de consolider l’Inquisition en Aragon. Pour Ferdinand et Isabelle, le grand inquisiteur Arbues devint presque un dieu, et plus que jamais ils laissèrent persécuter hérétiques et Marranes. Les dominicains aussi surent exploiter au profit de leur pouvoir le meurtre d’Arbues, qui était venu à propos pour entourer le tribunal d’inquisition de l’auréole du martyre. Tous leurs efforts tendaient maintenant à faire de Pedro Arbues un saint.

Le meurtre d’Arbues fut cruellement vengé. Grâce aux aveux publics faits par un des conspirateurs, Vidal de Uranso, les inquisiteurs connurent les noms de tous ceux qui avaient pris part au complot, et ils les persécutèrent avec un double acharnement, comme hérétiques et comme ennemis du Saint-Office. Une fois arrêtés, les principaux coupables furent traînés à travers les rues de Saragosse, eurent les mains coupées et furent pendus. Plus de trois cents Marranes furent condamnés à être brûlés, et, parmi eux, près de trente hommes et femmes des meilleures familles de la ville. Francisco de Santa-Fé, fils du renégat Jérôme de Santa-Fé, mourut également sur le bûcher.

Le fait suivant montre avec quelle cruauté inexorable et raffinée l’Inquisition poursuivait son œuvre de vengeance. Gaspar de Santa-Cruz, un des conjurés, avait réussi à s’enfuir à Toulouse et y était mort. Après l’avoir brûlé en effigie, les inquisiteurs emprisonnèrent son fils, à qui ils reprochaient d’avoir aidé son père à s’échapper, puis le condamnèrent à se rendre à Toulouse et à faire déterrer et brûler le cadavre de son père par les dominicains