Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/416

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coreligionnaires. Leur sympathie était profonde pour ces convertis qui n’étaient chrétiens que de nom, et ils s’efforçaient d’entretenir dans leur cœur l’amour du judaïsme. Même les Marranes nés dans le christianisme étaient instruits dans les rites de leurs pères par les Juifs, qui les convoquaient secrètement aux offices divins, leur remettaient des livres religieux, leur indiquaient les dates des fêtes et des jeûnes, pratiquaient la circoncision sur leurs enfants, leur fournissaient du pain azyme pour Pâque et, pendant toute l’année, de la viande préparée selon la toi juive.

Pour triompher de l’aversion obstinée des Marranes pour te christianisme, Ferdinand et Isabelle prirent le parti de leur interdire rigoureusement tout commerce avec les Juifs, d’abord à Séville, et ensuite dans toute l’Andalousie, où les nouveaux chrétiens se trouvaient en très grand nombre. Mais cette défense n’eut aucun résultat. Au contraire, Juifs et Marranes se sentirent stimulés, par la certitude même du danger qu’ils couraient, à resserrer encore les liens qui les unissaient ; leurs relations étaient seulement devenues plus secrètes et entourées de plus de précautions. Pourtant Torquemada ne recula devant aucun moyen pour rompre ces liens si étroits. Ainsi, il ne craignit pas d’exiger des rabbins de l’aider à tenir éloignés du judaïsme les Marranes qui tenaient absolument à pratiquer cette religion, et de les livrer par leurs délations aux prêtres catholiques, c’est-à-dire au bûcher. Il est bien improbable que les rabbins aient prêté leur concours au grand inquisiteur dans cette circonstance. Une fois que l’Inquisition fut bien convaincue que non seulement les Juifs ne dénonceraient pas les Marranes, mais continueraient à entretenir secrètement des relations avec eux, elle sollicita des rois catholiques l’expulsion de tous les Juifs d’Espagne.

Bien des symptômes faisaient prévoir depuis quelque temps cette expulsion aux Juifs de Castille et d’Aragon. Mais ils éprouvaient pour l’Espagne un amour trop profond pour se décider à s’en séparer sans y être absolument contraints. Du reste, ils ne croyaient pas que la catastrophe fait si proche, car, à plusieurs reprises, Ferdinand et Isabelle les avaient protégés contre des émeutes. Ils pensaient aussi que jamais les chrétiens ne pourraient se passer de leurs services, et enfin ils avaient une confiance