les spéculations philosophiques, n’ont pas moins souffert que leurs coreligionnaires d’Espagne.
Abrabanel ne put s’adonner que pendant un temps très court à ses travaux littéraires, car bien vite l’écrivain dut de nouveau céder la place à l’homme d’État. Il allait commencer à mettre en lumière le rôle joué par les divers rois de Juda et d’Israël, quand Ferdinand et Isabelle lui confièrent l’administration des finances espagnoles. Pendant les huit ans qu’il occupa ces fonctions (mars 1484-1492), il sut justifier la confiance royale, car pas une seule fois il ne s’attira un reproche. Il est vrai qu’il s’acquitta de sa lourde tâche avec prudence et habileté. Lui-même raconte que ses services lui rapportèrent richesses et honneurs, et qu’il était très estimé à la cour et auprès de la haute noblesse castillane.
Il fallait que le concours d’Abrabanel fût bien nécessaire à l’État pour que les souverains catholiques pussent le garder si longtemps comme trésorier sous les yeux du terrible Torquemada, en dépit des prohibitions canoniques et malgré la défense, fréquemment renouvelée par les cortès, de confier un emploi quelconque à un Juif. Comme à Lisbonne, il fit profiter ses coreligionnaires de sa haute situation, leur servant de rempart et les protégeant contre les violences des dominicains. Ce fut certainement à Abrabanel que les Juifs de Castille furent redevables d’avoir été préservés, à ce moment, du châtiment que les inquisiteurs voulurent leur infliger pour l’appui qu’ils avaient prêté aux Marranes.
Mais bientôt un événement survint qui rendit inévitable pour les Juifs d’Espagne la catastrophe finale : ce fut la conquête de Grenade. Pendant dix ans, arec des interruptions plus ou moins longues, les Castillans avaient tenu la campagne contre les Maures de Grenade. Ce pays était habité par un assez grand nombre de Juifs, auxquels étaient venus se joindre beaucoup de Marranes quand l’Inquisition avait commencé d’allumer les bûchers en Espagne. Non pas que leur sort fût bien enviable dans le royaume de Grenade, car là aussi sévissait la haine des Juifs. Mais ils pouvaient, du moins, pratiquer librement leur religion et ne couraient pas continuellement le risque de se voir arrêter et condamner à mort. Un des derniers rois de Grenade eut pour médecin