Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/429

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dans son pays ou leur permit de le traverser ; il réussit en partie dans ses négociations.

À mesure que s’approchait la date fatale, les Juifs ressentaient plus profondément la douleur d’être contraints de quitter un pays qu’ils aimaient d’un si ardent amour. Ils déploraient surtout amèrement la nécessité de se séparer à tout jamais des chères tombes de leurs parents. À Ségovie, la communauté juive tout entière passa les trois derniers jours de son séjour en Espagne dans le cimetière, émouvant les chrétiens mêmes par leurs navrantes lamentations. À la fin, ils enlevèrent les pierres tombales, les emportant comme des reliques sacrées ou les confiant à la garde des Marranes.

Au lieu de faire partir les Juifs le 31 juillet, comme ils l’avaient décidé à l’origine, Ferdinand et Isabelle les autorisèrent à rester jusqu’au surlendemain. Par une coïncidence saisissante, leur exode définitif de l’Espagne eut lieu le 9 du mois d’Ab, date douloureuse entre toutes dans l’histoire juive, puisqu’elle rappelait déjà à Israël, entre autres tristes événements, la destruction du temple de Jérusalem. On évalue à trois cent mille le nombre des exilés, qui se dirigèrent, les uns du côté du nord, vers le royaume voisin de Navarre, les autres au sud, pour se rendre en Italie, en Turquie ou en Afrique ; la plus grande partie gagna le Portugal. De crainte que l’un ou l’autre des proscrits, au moment de partir, fût trop épouvanté à l’idée de quitter pour toujours sa patrie et résolût d’acheter au prix d’une apostasie l’autorisation de demeurer en Espagne, plusieurs rabbins, dans l’intention d’étourdir le chagrin des expulsés, prirent avec eux le chemin de l’exil au son du fifre et du tambourin.

Par suite du départ des Juifs, l’Espagne perdit la vingtième partie de ses habitants, et certes la partie la plus industrieuse, la plus laborieuse et la plus cultivée, qui formait la classe moyenne de la population. Grâce à leur activité, les richesses qu’ils créaient circulaient sans cesse à travers le pays, comme le sang dans le corps, pour lui donner la vie. On ne trouvait pas seulement, parmi eux, des capitalistes, des marchands, des laboureurs, des médecins et des savants, mais aussi des ouvriers de tout genre, armuriers, métallurgistes, etc. Ils auraient certainement fait de l’Espagne,