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Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/61

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analogue à celle de Samuel ibn Nagrela à Grenade. Yekoutiel avait une très grande influence à la cour, ses conseils étaient écoutés avec faveur. À l’exemple d’autres coreligionnaires haut placés, il s’intéressait aux savants et aux poètes juifs. Il se montrait particulièrement bienveillant pour Ibn Gabirol, calmant sa susceptibilité farouche et adoucissant par d’affectueuses remontrances sa morne tristesse. Dans sa profonde reconnaissance pour cette sollicitude vigilante, le poète emprunta à la nature ses plus éclatantes couleurs et à la Bible ses plus magnifiques images pour chanter les vertus de son bienfaiteur. Mais qui voudrait reprocher à un jeune poète de dix-sept ans, jusque-là délaissé et abandonné à ses chagrins, les exagérations de sa palette ?

Enhardi par les encouragements de Yekoutiel, Ibn Gabirol sortit peu à peu de lui-même, de ses sombres pensées, son cœur s’ouvrit aux douceurs de l’amitié, son âme s’éprit des beautés de la nature. Il se mit alors à chanter son protecteur, ses amis, la sagesse, la nature. Mais on aurait dit qu’une fatalité implacable le poursuivait de ses coups. Il fut douloureusement réveillé de son heureuse quiétude par la mort de Yekoutiel, qui périt, selon toute apparence, dans la révolution de palais qui amena la chute de son maître et l’avènement au trône d’Abdallah ibn Hakam, cousin et meurtrier de l’ancien roi (1039). La fin tragique de Yekoutiel affligea profondément les Juifs du nord de l’Espagne et causa à Ibn Gabirol un violent désespoir. Le poète célébra la mort de son ami dans une élégie d’une pénétrante émotion Yekoutiel, s’écrie-t-il au commencement de ce poème, a cessé de vivre ! Les cieux peuvent-ils donc également disparaître ?

A la suite de cette catastrophe, Ibn Gabirol s’enfonça de nouveau dans son isolement et sa mélancolie. Son excessive sensibilité augmentait encore ses tourments, il ne voyait partout que haine, envie et trahison. Ses productions poétiques de ce temps portent le cachet de la plus noire tristesse. Mais la douleur eut pour lui cet heureux résultat de retremper son énergie et d’affermir son âme ; c’est vers cette époque qu’il publia ses meilleures œuvres. Sa facilité était telle qu’à l’âge de dix-neuf ans (1040), il écrivit une grammaire hébraïque complète en quatre cents vers monorimes, compliqués d’acrostiches. Dans l’introduction de cet