Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/87

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chaque jour à être massacrés, priant et jeûnant. Le ciel resta sourd à leurs supplications. À la Saint-Jean, les croisés envahirent Neus, un des villages où les Juifs s’étaient cachés, et les y massacrèrent. De là, ils se rendirent dans les autres villages, recherchant les Juifs qui s’y étaient réfugiés et tuant tous ceux qu’ils découvraient. Un grand nombre des fugitifs cherchèrent la mort dans les étangs et les marais. Un vieillard très savant, Samuel ben Yehiel, égorgea son fils, beau et vigoureux jeune homme, au milieu d’un étang, récitant à voix haute la formule de bénédiction qu’on prononce pour un sacrifice ; la victime répondit : Amen, et tous les assistants, entonnant la profession de foi : Écoute, Israël, se précipitèrent dans l’eau.

On évalue à douze mille le nombre des Juifs tombés dans les communautés du Rhin, depuis le mois de mai jusqu’en juillet, sous les coups des croisés. Les autres avaient momentanément embrassé le christianisme ; ils espéraient qu’à son retour d’Italie, l’empereur Henri IV les reprendrait sous sa protection et leur permettrait de revenir à leur ancienne foi.

En Bohème également, se produisirent des scènes de carnage partout où les croisés rencontraient des Juifs. Dans ce pays, où le christianisme était encore moins puissant que dans d’autres contrées, les Juifs avaient joui jusqu’alors d’une entière sécurité. Leurs souffrances commencèrent avec l’arrivée des bandes de croisés. Le puissant duc de Bohème Wratislaw II, qui seul aurait pu réprimer les excès de ces forcenés, guerroyait alors loin de son pays ; les croisés avaient ainsi toute liberté pour accomplir leurs massacres. À Prague, de nombreux Juifs furent tués ; d’autres se laissèrent baptiser. L’évêque Cosmas s’éleva en vain contre ces violences. Les croisés connaissaient sans doute mieux que le prélat les devoirs imposés par le christianisme.

Pour le bonheur des Juifs de l’Europe occidentale et l’honneur de l’humanité, la populace seule prenait part à ces massacres. Les princes, les bourgeois et, à l’exception de l’archevêque Ruthard, de Mayence, et de l’évêque Egilbert, de Spire, les prélats eux-mêmes témoignaient leur horreur pour ces crimes. Le temps n’était pas encore veau où princes, peuple et ecclésiastiques s’entendraient pour persécuter les Juifs.