Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/98

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chanta le vin et les plaisirs et composa des énigmes en vers. À ceux qui lui reprochaient de consacrer son talent à de telles fut ! lités, il répondit avec la présomption de la jeunesse : Ma vingt-quatrième année n’est pas encore évanouie, et je fuirais avec chagrin le vin joyeux !

Dans ses poésies légères, il se plaisait à surmonter les plus grandes difficultés de rime et de mètre ; parfois il les terminait par un vers castillan ou arabe. À la tournure comme à l’expression, on reconnaît tout de suite le maître, qui, en quelques traits hardis, dessine un tableau achevé. Ses descriptions de la nature sont aussi brillantes et aussi pittoresques que tout ce qui a été écrit de plus parfait en ce genre dans toutes les langues, les fleurs y resplendissent de mille couleurs et répandent au loin leurs parfums embaumés, les branches y plient sous le poids de leurs fruits d’or, les oiseaux y font entendre leurs doux gazouillements. Quand il montre les bouillonnements impétueux de la mer sous l’action de la tempête, ses lecteurs se sentent émus jusqu’au fond de l’âme devant ce spectacle si grand et si terrible. Mais pas plus dans ces tableaux que dans les compositions liturgiques, qu’il écrivit au nombre de plus de trois cents, Juda Hallévi ne déploya tout son talent. Ses chefs-d’œuvre sont ses poèmes religieux et nationaux ; il y met toute son âme de poète, tout son enthousiasme de croyant, il y chante tour à tour les misères présentes de Sion et ses splendeurs futures. De toutes les poésies néo-hébraïques, les Sionides se rapprochent le plus des Psaumes. Quand Juda Hallévi exhale ses douloureux soupirs sur l’abandon de Sion, ou lorsqu’il rêve de son magnifique avenir, de son union future avec son Dieu et son peuple, on croirait entendre le Psalmiste ! Ibn Gabirol ne déplore que son propre isolement, Moïse ibn Ezra ses propres souffrances, mais Juda Hallévi gémit sur les malheurs de son peuple, sur les ruines du sanctuaire national, sur l’asservissement d’Israël. Voilà pourquoi ses plaintes nous émeuvent si profondément, voilà pourquoi ses accents pénétrants remuent les plus intimes de nos fibres.

Après avoir exprimé, dans les Sionides, les sentiments nationaux d’Israël, Juda Hallévi fait connaître en quelque sorte les conceptions nationales du judaïsme. Il émet des idées originales sur les rapports de Dieu avec la création et sur la valeur comparative des religions