Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/104

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de tous les intérêts en jeu avant de prendre une résolution définitive.

Or, à Constantinople, les personnages les plus influents de cette époque étaient Dona Gracia et Joseph Nassi, et ceux-ci étaient absolument résolus à infliger un châtiment au pape pour sa cruauté envers les Marranes. Pour leur part, ils donnèrent ordre à tous leurs agents de n’expédier toutes les marchandises de leur maison qu’à Pesaro. Ils rencontrèrent pourtant de l’opposition chez un certain nombre de commerçants, qui craignaient que la préférence donnée à Pesaro sur Ancône ne fût préjudiciable à leurs intérêts. On soumit alors la question aux rabbins. Ceux-ci non plus ne furent pas d’accord. Deux d’entre eux se refusèrent à prononcer l’interdit contre Ancône. Bien des marchands juifs de la Turquie profitèrent de ce manque d’entente pour ne consulter que leurs intérêts et continuer leurs relations avec Ancône. Ce fut en vain que Dona Gracia fit intervenir le collège rabbinique de Safed, dont deux membres, Joseph Garo et Moïse di Trani, jouissaient alors d’une très grande autorité en Orient. L’entreprise projetée contre le port d’Ancône, et, par conséquent, contre le pape, échoua.

Quand Guido Ubaldo, duc d’Urbin, eut reconnu que son. projet de faire de Pesaro le centre du commerce du Levant ne réussirait pas, il ne voulut pas s’exposer inutilement à la colère du pape et expulsa les Marranes qu’il avait accueillis (mars 1558). Du moins fut-il assez humain pour ne pas les livrer à l’inquisition. La plupart des exilés louèrent des vaisseaux et cinglèrent vers l’est. Pourchassés par la police maritime du pape, plusieurs d’entre eux furent pris et traités en esclaves. Le médecin célèbre Amatus Lusitanus, qui avait pourtant rendu d’éminents services à la population chrétienne, fut également obligé de partir de Pesaro ; il se rendit à Salonique (1558-1559). Le duc de Ferrare aussi semble avoir expulsé, à cette époque, les Juifs de ses domaines ; car, en cette année, l’imprimerie d’Abraham Usque cessa de fonctionner, et Don Samuel Nassi, frère de Joseph Nassi, dut invoquer la protection du sultan pour pouvoir se rendre en sécurité à Constantinople.

La haine de Paul IV contre les Juifs s’accrut encore avec l’âge.