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Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/151

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duc de Modène à Reggio. Les Juifs trouvèrent ainsi, au milieu de l’Europe chrétienne, intolérante et fanatique, des asiles où ils purent de nouveau relever la tête et reconquérir peu à peu leur liberté.

La colonie juive d’Amsterdam, qui se grossit sans cesse de nouvelles recrues échappées aux fureurs de l’Inquisition d’Espagne et de Portugal, n’apporta pas seulement des avantages matériels à son pays d’adoption. Les réfugiés marranes étaient presque tous des gens cultivés, médecins, juristes, fonctionnaires de l’État, officiers ; ils savaient, en général, le latin, avaient des connaissances variées et d’excellentes manières. L’un d’eux acquit une réputation européenne et entretint des relations avec d’illustres personnalités. C’était le célèbre médecin Abraham Zaccuto Lusitano (né en 1576 et mort en 1642), arrière-petit-fils de l’historien et astronome Abraham Zaccuto. Né à Lisbonne, de parents marranes, il s’était réfugié à Amsterdam, où il put revenir à la foi de ses pères. Il fut en correspondance avec le prince palatin Frédéric et son épouse si instruite, qui régnèrent quelques jours sur la Bohème et inaugurèrent la guerre de Trente ans. Des collâmes juifs et chrétiens célébrèrent ses louanges en prose et en vers, et, à en juger par ces documents, il semblerait qu’il n’existât aucun préjugé contre les Juifs. Les gouverneurs des Pays-Bas, les princes si libéraux de la maison d’Orange-Nassau, Maurice, Henri et Guillaume II, n’établissaient aucune différence entre les Juifs et les autres citoyens.

Dans toutes les circonstances, les Marranes manifestaient leur ardent amour pour cette religion juive qu’ils étaient si heureux de pouvoir enfin pratiquer librement ; ils la chantaient en vers et la glorifiaient par leurs actes. Paul de Pina, ou, pour l’appeler par son nom juif, Rohel Yesouroun, composa en l’honneur de la première synagogue (Bèt Jacob) élevée à Amsterdam des strophes en langue portugaise, récitées par sept jeunes gens, où les montagnes de la Palestine, le Sinaï, Hor, Nebo, Garizim, Carmel, Zètim (mont des Oliviers) et Sion célèbrent tour à tour la grandeur du judaïsme et d’Israël. Mais à cet enthousiasme se mêle parfois, chez les Marranes, l’amer souvenir des tortures que l’Inquisition leur infligea, l’effrayante vision des sombres cachets et des