Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/280

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et, quand un certain nombre d’auteurs créèrent à Berlin un café littéraire, Mendelssohn fut invité à en faire partie. Tous les mois, un membre de cette association faisait une conférence sur un sujet littéraire ou philosophique. Encore timide et se défiant de sa voix un peu faible, Mendelssohn chargea un de ses collègues de lire un travail de lui, sans que son nom fût prononcé. C’étaient des Considérations sur la probabilité. Les auditeurs ne tardèrent pas, par certains détails, à deviner l’auteur de cette étude, et ils lui en exprimèrent leurs félicitations. Mendelssohn collabora aussi à des Revues importantes ainsi qu’à la Bibliothèque des Belles-Lettres et des Sciences fondée par son ami Nicolaï. De jour en jour, son goût devenait plus pur, son style plus élégant et ses pensées plus élevées ; sa renommée s’étendit de plus en plus parmi les écrivains et les savants. Bientôt même, on se montra curieux à la cour de Frédéric le Grand de connaître le fameux Juif.

Rendu courageux par l’énergie de Lessing et entraîné par l’amour de la vérité, Mendelssohn, en rendant compte un jour, dans une Revue, des publications poétiques du roi, ne craignit pas d’y glisser une critique (1760). Il était froissé du dédain manifesté par Frédéric pour tout ce qui était allemand, et il ne ressentait qu’une médiocre admiration pour les traits d’esprit du souverain. Quoiqu’il exit su habilement dissimuler son blâme sous des éloges, un courtisan, le prédicateur Justi, démêla sa véritable pensée et reprocha vivement au Juif d’avoir oublié le respect dû à la personne sacrée du roi en osant critiquer audacieusement ses poésies. Un beau jour, Mendelssohn fut mandé à Sans-Souci, et là on lui demanda s’il était vraiment l’auteur du compte rendu critiquant les œuvres littéraires du roi. Il avoua courageusement son méfait et se disculpa par cette observation : Faire des vers, c’est comme jouer aux quilles. Le joueur de quilles, qu’il soit roi ou paysan, est obligé de laisser apprécier la façon dont il joue.

En définitive, Mendelssohn n’avait qu’à se louer de la fortune. Il avait acquis des amitiés solides, il put échanger sa situation si précaire et un peu humiliante de précepteur contre l’emploi plus lucratif, quoique bien modeste encore, de teneur de livres ; enfin