Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/356

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leur jargon, les tenaient isolés et les exposaient aux railleries du reste de la population. On peut dire qu’à la suite de la dissolution du Synode des quatre pays et surtout à la suite de l’accroissement de la secte des Hassidim, le judaïsme russe formait un vrai chaos, et il faut savoir gré à l’empereur Alexandre Ier d’avoir essayé d’y mettre un peu d’ordre. Par une série de lois (1804-1812), il s’efforça de modifier les mœurs, les coutumes, les habitudes des Juifs russes et de les relever ainsi dans l’estime et la considération de leurs concitoyens. Il leur ouvrit l’accès des écoles primaires, des gymnases et des académies, les encouragea, par des exemptions d’impôts, à se livrer à l’agriculture et aux travaux manuels, à créer des fabriques, à cultiver les arts et les sciences. Afin de les déshabituer de leur patois, il faisait nommer à des postes honorifiques, dans les administrations des villes, ceux qui savaient parler et écrire le russe, le polonais ou l’allemand. il leur ouvrit également de nouvelles provinces, où ils pouvaient s’établir à condition de ne pas tenir de cabarets et de s’habiller comme les autres habitants. Si les dispositions prises en faveur des Juifs, disait ce noble souverain, leur permettent de produire un seul, Mendelssohn, je me trouverai suffisamment récompensé.

Pour qu’il fût possible à ces mesures si heureuses de donner tous leurs fruits, il aurait fallu du temps et de la patience. Malheureusement on n’avait pas encore fini de semer qu’on aurait déjà voulu récolter. D’abord, l’application des lois scolaires se heurta à toute sorte de difficultés. Au lieu de considérer l’instruction qu’on désirait leur donner comme un bienfait, les Juifs de Russie et de la Pologne la regardaient comme une malédiction et une invitation à l’apostasie. À leurs yeux, leur horrible jargon et leur accoutrement ridicule avaient un caractère sacré, et ils étaient fermement résolus à n’y apporter aucune modification. Us auraient eu besoin d’un homme énergique, très intelligent, jouissant d’une sérieuse autorité, qui les eût amenés au progrès et leur eût imposé les réformes nécessaires. Il se trouvait bien parmi eux, à ce moment, un émule de Wessely, Isaac Berr Levinsohn (1787-1837), lui avait étudié la langue et la littérature russes, avait acquis des connaissances variées, possédait