Aller au contenu

Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

feu en sauvant les écrits qui éclairent la Loi et dont la disparition amènerait le règne des ténèbres. En te donnant notre concours, nous ne défendons pas ta cause, mais la Loi ; nous ne luttons pas pour le Talmud, mais pour l’Église. Fait digne de remarque, les franciscains aussi, par haine des dominicains, se déclarèrent en faveur de Reuchlin.

Presque chaque ville allemande eut bientôt ses deux partis, les amis et les adversaires de Reuchlin. Ceux-là réclamaient la conservation du Miroir et du Talmud, ceux-ci, au contraire, demandaient que les deux ouvrages fussent brûlés. Par la force des choses, les partisans de Reuchlin devinrent les amis des Juifs, exposant avec chaleur toutes les raisons qui militaient en leur faveur. Par contre, l’hostilité des autres s’accrut contre les Juifs, qu’ils attaquaient violemment avec des armes empruntées aux ouvrages les plus médiocres et les plus inconnus.

Peu à peu, ces démêlés eurent leur contrecoup dans l’Europe entière. Dans deux villes surtout, à Rome et à Paris, la lutte de Reuchlin et des dominicains suscita d’ardentes discussions, car Hochstraten attachait un grand prix à l’opinion de l’Université de Paris, qu’il voulait se concilier par tous les moyens, et à Rome il usait de toutes les influences pour faire annuler le jugement de Spire. D’un autre côté, Reuchlin, tout en ayant eu gain de cause, avait besoin d’appui pour empêcher les intrigues de ses adversaires d’aboutir. Il y réussit. L’instruction du procès fut confiée par le pape au cardinal et patriarche Dominique Grimani. On savait que ce prince de l’Église cultivait la littérature rabbinique et la Cabale, et qu’en sa qualité de patron des franciscains il détestait les dominicains. Il est très probable que les Juifs de Rome avaient contribué à ce succès de Reuchlin. Mais ils eurent le tact, comme leurs coreligionnaires d’Allemagne, de se tenir à l’arrière-plan, pour ne pas compromettre la cause de leur défenseur par une intervention trop ouverte. Le cardinal Grimani invita Reuchlin et Hochstraten (en juin 1514) à comparaître devant lui, permettant toutefois au premier, en raison de son grand âge, de se faire représenter par un délégué.

Muni de lettres de recommandation et de grosses sommes d’argent, l’inquisiteur se rendit à Rome. Reuchlin aussi se fit appuyer