Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/368

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pourrait l’insulter impunément de l’épithète de juif. À son départ de Francfort, un employé de la police écrivit sur son passeport ces mots : Juif de Francfort. À cette vue, dit-il dans une de ses lettres, mon sang bouillonna dans mes veines ; je pris alors la ferme résolution de leur arranger un jour à tous un passeport à ma manière.

Ses premiers coups furent, en effet, dirigés contre les patriciens de Francfort. C’est qu’il était outré de leur impudence et de leur mauvaise foi à l’égard des Juifs, à qui ils avaient fait payer très cher les droits civils qu’ils avaient promis de leur accorder et contre lesquels ils avaient ensuite remis en vigueur le règlement de 1616, ce roman de la méchanceté, comme il l’appelle. Au lieu d’exhaler ses colères et ses rancunes en sou propre nom, il composa un roman où il fait parler un officier juif : Vous avez troublé jusqu’aux jeux de mon enfance, vilains coquins ! Vous avez rendu amères les douceurs de ma jeunesse, vous m’avez poursuivi de vos calomnies et de vos railleries quand je fus devenu homme. Vous n’avez pas été capables de me détourner de mon chemin, mais, par votre faute, je suis arrivé au but, fatigué, las et dégoûté… Tu me demandes pourquoi je fuis ma patrie ? Je n’en ai pas… Les cachots me rappellent mon pays natal et les persécutions l’endroit où j’ai passé mon enfance. La lune me paraît aussi proche que l’Allemagne.

Au lieu de se servir de sa plume uniquement pou : venger les outrages et les humiliations subis par lui et ses coreligionnaires, Bœrne s’imposa la noble tâche de faire disparaître la haine séculaire de son pays pour les Juifs en s’efforçant d’inspirer aux Allemands des sentiments plus élevés. Dans un journal qu’il avait fondé, la Balance, il exposait un idéal de liberté, de dignité, de respect de soi-même, qu’il conseillait à ses compatriotes de poursuivre, et il montrait, au regard de cet idéal, la petitesse de leur esprit et la lâcheté de leurs actes. Il leur disait en riant des vérités qu’ils n’avaient jamais entendues. Pensant que ses paroles auraient plus d’autorité s’il était chrétien, il se fit baptiser à Offenbach (5 juin 1818). Son apostasie est d’autant plus blâmable qu’il avoua lui-même qu’il ne croyait aucun dogme du christianisme et qu’il regrettait l’argent dépensé pour son baptême.