Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/55

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aux fonts baptismaux les Juifs prêts à émigrer, mais, pour ne pas les pousser au désespoir, il les avait placés pendant vingt ans, par l’édit de tolérance, à l’abri des persécutions du Saint-Office. Ils étaient même autorisés à avoir en leur possession et à étudier des livres hébreux. Confiants dans le décret royal, les Marranes portugais observaient presque ouvertement les rites juifs. À Lisbonne, où ils étaient établis pour la plupart, ils possédaient une synagogue. Contraints de suivre en apparence les usages chrétiens, ils se rendaient fréquemment à la synagogue pour demander pardon à Dieu des péchés qu’ils étaient forcés de commettre. Là, les aînés enseignaient aux plus jeunes la Bible et le Talmud, les initiaient aux usages juifs et leur inculquaient l’amour du judaïsme. Les Marranes du Portugal pouvaient aussi émigrer plus facilement que ceux d’Espagne. Après avoir vendu leurs biens, ils se rendaient isolément ou par groupes dans la Berbérie, ou en Italie et en Turquie. Pour empêcher cette émigration, Manoël avait bien défendu aux chrétiens d’acheter les immeubles des Marranes sans une permission spéciale du roi, et les Marranes eux-mêmes n’avaient pas le droit de partir avec leurs femmes et leurs enfants sans y avoir été préalablement autorisés par le souverain. Mais il n’était pas difficile aux Marranes de tourner cette loi.

Naturellement, les Marranes d’Espagne enviaient la sécurité relative dont jouissaient leurs congénères portugais, et ils s’efforçaient de passer la frontière. Le gouvernement espagnol insista alors auprès de Manoël pour qu’il défendit l’accès de son pays à tout Espagnol qui ne serait pas muni d’un certificat attestant sa parfaite orthodoxie.

La situation des Marranes du Portugal aurait donc été supportable sans la haine qu’ils inspiraient au peuple. Celui-ci, en réalité, les détestait moins pour leur attachement au judaïsme que parce qu’ils étaient plus actifs et plus industrieux que les chrétiens. Dès que ces néo-chrétiens eurent été autorisés à pratiquer tous les métiers, à affermer la dîme due à l’Église, à occuper toutes les fonctions et même à entrer dans les ordres et à accepter des dignités ecclésiastiques, ils excitèrent au plus haut degré la jalousie des anciens chrétiens. On se contenta d’abord