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Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/56

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de les appeler de noms injurieux, et Manoël dut intervenir pour l’interdire. Mais, pendant plusieurs années, la récolte fut mauvaise, et il en résulta une grande cherté de vivres. Pour surcroît de malheur, une épidémie se joignit à la famine. Immédiatement, toutes les rancunes et toutes les haines se déchaînèrent contre les Marranes. On les accusa d’accaparer le blé et de l’exporter dans des pays étrangers pour affamer les vrais chrétiens. La foule en voulait surtout à un riche Marrane, João Rodrigo Mascarenhas, fermier général des impôts.

Toujours à l’affût pour satisfaire leur haine coutre les Marranes, les dominicains s’empressèrent de mettre à profit des dispositions hostiles du peuple. Un jour, ils annoncèrent que, dans un miroir encadré dans une croix, on apercevait la Vierge et d’autres apparitions miraculeuses. Ils attirèrent ainsi une foule énorme dans l’église. Un dominicain monta alors en chaire pour exciter les assistants contre les néo-chrétiens, et deux autres religieux, João Mocho et Fratre Bernardo, traversèrent les rues, une croix à la main et s’écriant : Hérésie ! hérésie ! Flairant une occasion de piller, toute la lie de la population de Lisbonne suivit bientôt les deux dominicains, auxquels se joignirent des matelots allemands, néerlandais et français. Près de dix mille forcenés parcoururent ainsi la ville, tuant tous les Marranes qu’ils purent trouver, hommes, femmes et enfants. Le carnage dura deux jours. Un Allemand, qui était alors à Lisbonne, fait ces réflexions : Lundi, j’assistai à des scènes que je n’aurais jamais cru possibles si je ne les avais pas vues de mes propres yeux, tant elles étaient atroces. Des femmes enceintes furent jetées par les fenêtres, et on les recevait sur des piques. Les paysans, accourus à la curée, suivirent l’exemple des citadins. 2.000 à 4.000 Marranes furent tués dans cette émeute.

Le roi Manoël continua pourtant de protéger les Marranes. Par un décret du mois de mars 1507, il accorda aux nouveaux chrétiens les mêmes droits qu’aux anciens et les autorisa à émigrer, et, par un autre décret, il les défendit pendant seize nouvelles années contre toute accusation fondée sur l’observance des pratiques juives. Mais ces édits royaux ne firent qu’augmenter la haine du peuple contre les Marranes.