Page:Grammont - Petit traité de versification française, 1908.djvu/19

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nosyllabe actuellement, mais pour hier les deux prononciations sont correctes. La règle générale demanderait que ce mot ne fût que monosyllabe, comme pied par exemple ; mais on dit le pied, un pied, tandis qu’hier est généralement isolé dans la phrase. Or on n’aime guère qu’un mot important soit trop exigu ; on cherche d’ordinaire à l’étoffer un peu, de crainte qu’il ne passe inaperçu. C’est pourquoi hi-er en deux syllabes est apparu de fort bonne heure même dans la langue courante et a subsisté jusqu’à présent à côté de la forme monosyllabique.

Réformes désirables. — Cet exemple est dans des conditions spéciales, mais la plupart des mots n’ont qu’une seule prononciation. Il est déconcertant d’être obligé de les prononcer en vers tantôt d’une manière, tantôt d’une autre ; et il est particulièrement choquant de leur imposer parfois une prononciation que la langue n’a jamais connue ou dont elle a perdu le souvenir depuis sept à huit siècles. C’est cela surtout qui donne à notre poésie un caractère artificiel et l’éloigne tous les jours davantage de la langue réelle. Il n’y a qu’un principe admissible pour le compte des syllabes : se conformer le plus possible à la prononciation de la langue vivante. La poésie de l’ancien français faisait ainsi ; la poésie d’aujourd’hui doit faire de même et tenir compte des changements qu’a subis la prononciation. Si les écoles poétiques du dernier quart de siècle, qui ont éprouvé avec tant de raison le besoin de rajeunir notre versification, l’avaient étroitement modelée sur la prononciation contemporaine, cette simple réforme les aurait peut-être menées au but qu’elles n’ont pas atteint.