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trouve des vers comme les suivants, dans lesquels la syntaxe ne permet pas de pause :

Por tant porrai perdre tote ma voie[1].

(Le châtelain de Coucy)

En sa destre main tint chascuns s’espee nue[2].

(Garnier de Pont-Sainte-Maxence)

C’est à la même époque, et précisément parce que les divisions du vers étaient devenues moins nettes, que l’on remplaça l’assonance par la rime.

Les destinées de la césure féminine. — Malgré cette faiblesse de la pause, l’usage de la césure féminine persista jusqu’au milieu du xvie siècle. C’est que la versification est peut-être de tous les domaines celui où les anciennes règles se maintiennent à l’état d’observances le plus longtemps après qu’elles ont perdu toute raison d’être. Il n’est pas besoin d’un long examen pour comprendre que, dans un vers comme celui-ci, qui est du xiiie siècle, on aura beau essayer de faire violence à la syntaxe, elle ne permettra jamais une pause suffisante pour absorber la syllabe me :

Si n’avez o|me | nesun, si com je croi[3].

(Aimeri de Narbonne)

Aux xve et xvie siècles, souvent on ne sait plus à quelle place trouver une césure dans le vers de dix syllabes :

La pluye nous a buez et lavez[4].

(Villon)
  1. « Par là je pourrai perdre tout mon voyage. »
  2. « En sa main droite chacun tenait son épée nue. »
  3. « Vous n’avez aucun homme, à ce que je crois. »
  4. « La pluie nous a lessivés et lavés. »