Page:Grammont - Petit traité de versification française, 1908.djvu/25

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sans le remplir tout entier, on dit qu’il y a enjambement, et la fin de proposition qui figure dans le second le rejet. En ancien français, les pauses étant l’élément essentiel de la versification et devant par suite être très nettes, l’enjambement est exceptionnel. Lorsqu’on le rencontre, et c’est très rare dans les vers de dix et de douze syllabes, on doit le considérer en général comme une négligence. Parfois il semble que l’auteur l’a fait avec intention, comme dans l’exemple suivant, mais peut-être a-t-il été simplement servi par le hasard :

Ma grand onor aveie retenude
Empor tei, filz, | mais n’en aveies cure[1].

(Vie de Saint Alexis)

Dans les vers de huit syllabes l’enjambement a dès le début été plus fréquent que dans les vers plus longs ; employés en général dans des genres plus familiers, ils ont disposé d’une réglementation moins sévère. La difficulté de faire tenir chaque proposition exactement en huit syllabes d’un bout à l’autre d’un poème, et peut-être aussi la monotonie qui en serait résultée, n’ont sans doute pas été étrangères à cette liberté.

Aux xve et xvie siècles, la versification s’émancipe des anciens usages, cherche une voie nouvelle et imite un peu à tort et à travers les versifications latine et grecque, bien qu’elles soient fondées sur de tout autres principes ; aussi à cette époque emploie-t-on l’enjambement dans tous les types de vers presque sans y prendre garde. Pourtant Ronsard et la Pléiade ne le firent d’ordinaire que d’une manière assez judi-

  1. « C’est pour toi, mon fils, que j’avais conservé ma vaste seigneurie, mais tu n’en avais cure. »