Page:Grammont - Petit traité de versification française, 1908.djvu/35

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loppement. Voici le début d’une laisse composée de dix-huit vers qui assonent en i :

Rodlanz ferit en une piedre bise :
Plus en abat que jo ne vos sai dire ;
L’espede croist, ne froisset ne ne briset,
Contre lo ciel a mont est ressortide.
Quant veit li coms que ne la fraindrat mie,
Molt dolcement la plainst a sei medisme :
« E ! Durendal, com iés bele e saintisme ![1] »

(Chanson de Roland, xie siècle)

Apparition et définition de la rime. — Dès le xiie siècle, la versification devenant plus savante, cette ressemblance un peu vague à la fin des vers parut insuffisante, et l’on exigea l’homophonie non seulement de la dernière voyelle tonique, mais, en même temps de tout ce qui suivait cette voyelle, c’est-à-dire la rime. On n’eut plus des laisses assonancées, mais des laisses rimées. Mais ce qu’on gagnait ainsi en précision, on le perdait en variété. Peu nombreuses étaient les rimes qui pouvaient fournir une laisse de quelque étendue et les mêmes séries de rimes revenaient avec une fréquence fastidieuse. Aussi bientôt après, dès le même xiie siècle, le besoin de variété amena les poètes à changer de rime régulièrement tous les deux vers.

Les rimes masculines et les rimes féminines. — Cette nouvelle observance n’était pas encore un moyen infaillible d’éviter la monotonie. À cette époque, où

  1. « Roland frappe (de son épée) sur une roche bise ; il en abat plus que je ne saurais dire ; l’épée grince, mais ne s’ébrèche ni ne se brise, elle rebondit en haut contre le ciel. Quand le comte voit qu’il ne la brisera pas, il la plaint bien tendrement en se parlant à lui-même : « Ah ! Durendal, comme tu es belle et sainte ! »