Page:Grammont - Petit traité de versification française, 1908.djvu/99

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Mais La Fontaine, qui prend moins garde aux règles en cours qu’à son sentiment personnel, use d’enjambement toutes les fois qu’il lui semble bon :

Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin
Sans herbe : s’il vouloit encor me laisser paître !
Mais je suis attachée ; et si j’eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L’ingratitude ? Adieu : j’ai dit ce que je pense.

(Fables)

Il jouit même, grâce à l’emploi du vers libre, de deux procédés qui lui sont personnels. Il introduit un vers de dix syllabes après un vers de douze ou après un vers de huit, et en constitue avec son rejet le premier hémistiche :

Mais après certain temps souffrez qu’on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt. Ah ! dit-elle aussitôt,
Un cloître est l’époux qu’il me faut.

(Ibid.)

L’effet produit par un tel rejet est plus considérable, à cause du changement de vitesse. S’il le veut encore plus puissant, il termine son rejet par une rime et en fait ainsi un petit vers, qui se détache nettement de ceux qui l’entourent :

Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

(Ibid.)

L’enjambement à l’hémistiche. — L’enjambement à l’hémistiche, qui est déjà assez usité au xviie siècle, et beaucoup plus fréquemment que l’autre dans la tragédie, consiste en ce que la première mesure du second hémistiche est plus étroitement liée au mot qui