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LE CARACTÈRE DE WAGNER.

lume (1) se convaincront que si l’on me reproche mes attaques contre les Français, celles-ci ne sauraient nullement avoir leur raison dans un accès de mauvaise humeur de ma part à l’égard du pul)lic parisien. Mais que voulez-vous, les choses sont ainsi faites ? Tout le monde croit les fausses interprétations par lesquelles des journalistes de mauvaise foi trompent l’opinion publique ; très peu de gens vont à la source pour rectifier leurs jugements.

Remarquez que tout ce que j’ai écrit au sujet de l’esprit français, je l’ai écrit en allemand, exclusivement pour les Allemands : il est donc clair que je n’ai pas eu l’intention d’offenser ou de provoquer les Français, mais simplement de détourner mes compatriotes de l’imitation de la France, de les inviter à rester fidèles à leur propre génie, s’ils veulent faire quelque chose de bon.

Une seule fois je me suis expliqué en français, dans la préface de la traduction de mes quatre principaux opéras, sur les relations des nations romanes avec les Allemands et sur la mission différente qui me paraît incombera celles-là et à ceux-ci. J’assignais aux Allemands la mission de créer un art à la fois idéal et profondément humain sous une forme nouvelle ; mais je n’avais nullement l’intention de rabaisser pour cela le génie des nations romanes, parmi lesquelles la France a seule conservé, aujourd’hui, la force créatrice. Mais qui voudrait lire avec quelque attention des choses semblables (2) ? Bien plus, qui donc, dans la

(1) Il s’agit, ici, de la lettre de Wagner sur la représentation da Tannhàuser à Paris, lettre dans laquelle le maître considère la chute de son opéra comme une victoire, étant donné riiostilité de la presse contre lui. Cette lettre contient, du reste, une déclaration précieuse à enregistrer : « Je persiste à reconnaître au public parisien » dit-il, « des qualités fort agréables, notamment une compréhension très vive et un sentiment de la justice vraiment généreux. »

(2) L’idée que les Français sont incapables de toute lecture sérieuse est chez les Allemands une idée fixe. M. J. Bourdeau dans ses intéressantes notes de voyage adressées en 1886 de Berlin au Journal des Débats cite ce fait caractéristique : C..., professe l’admiration la plus vive pour la France et les Français : « Vous êtes nécessaires à l’Europe, me dit-il ; sans vous, nous <i tomberions dans la barbarie...»

Je crois lui payer sa politesse en louant son dernier ouvrage. Il me répond : « Ce n’est pourtant pas un livre pour des Français ; j’y ai mis trop d’idées. »