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ARISTOTE
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VI. Aristote historien. — Il résulte de ce qui précède qu’Aristote est tout d’abord historien. Il a commencé par apprendre le plus possible. Platon, dit-on, l’appelait le liseur. L’histoire n’est pas pour lui une fin dernière, quoiqu’il ait au plus haut degré la curiosité des faits, mais elle est un moyen indispensable. Elle fournit à l’esprit des matériaux sans lesquels il s’agiterait dans le vide. Aussi Aristote s’est-il livré à des études historiques approfondies dans tous les domaines de la science.

1. Histoire de la philosophie. Il avait écrit notamment sur les pythagoriciens et sur le platonisme. Tout le premier livre de la Métaphysique est historique : c’est un exposé critique des principes mis en avant depuis Thalès jusqu’à Platon. Mais comme l’objet qu’il a en vue est dogmatique, il fait rentrer les systèmes antérieurs dans les cadres de sa propre philosophie. Il en recherche l’idée, la forme parfaite, le terme et l’achèvement ; il veut les comprendre plus profondément que ne les ont compris leurs auteurs eux-mêmes ; et il les résume en des formules créées par lui, qui en font des acheminements à son propre système. S’il classe les doctrines, c’est d’après les ressemblances et différences qu’elles présentent à son point de vue, non d’après leur dépendance historique. C’est ainsi que le résumé contenu dans le premier livre de la Métaphysique est destiné à préparer la théorie aristotélicienne des quatre causes. Aristote montre qu’avant lui on a connu les principes matériel, moteur et formel, mais qu’on n’a parlé de la cause finale que d’une manière accessoire et accidentelle. Anaxagore ayant entrevu la cause finale apparut, nous dit Aristote, comme un homme sensé parmi des gens qui parlaient au hasard. Les recherches chronologiques tiennent peu de place dans ces considérations. De même Aristote s’occupe peu des relations de maître à disciple. Il note les services rendus par chacun de ses devanciers à la philosophie telle qu’il la conçoit ; il relève ce que chacun a trouvé de durable ; il signale les inventeurs et les avocats des idées qui ont joué un rôle dans le développement de la science, et qui lui paraissent mériter examen. En un mot, il ne recherche pas les origines historiques des systèmes, il dégage de la masse informe des faits la formation logique de la philosophie définitive.

2. Histoire politique. Dans ses πολίτειαι, qui ne nous ont pas été conservées, il avait réuni les constitutions de 158 cités grecques et barbares. Cet ouvrage rentrait apparemment dans ce que nous appelons archéologie et histoire de la civilisation. On y trouvait jusqu’aux proverbes et aux chants populaires des différents peuples. L’ordre des matières, selon certains commentateurs grecs, était alphabétique. Selon Diogène, les constitutions étaient classées, d’après leurs ressemblances, en démocratiques, oligarchiques, aristocratiques et tyranniques.

3. Histoire de la rhétorique et de la poésie. Cette histoire, qui ne nous a pas été conservée, est grandement louée par Cicéron. « Aristote, dit-il, y avait noté tous les préceptes donnés par les rhéteurs, et cela avec tant de perfection que l’on trouvait ces préceptes mieux exposés par lui que par leurs auteurs mêmes, et que, quand on voulait les connaître, c’est chez lui que l’on les cherchait. »

4. Il avait aussi dressé des listes chronologiques des représentations dramatiques, et des listes des vainqueurs aux jeux olympiens et pythiques. Tous ces ouvrages sont perdus. Ainsi la curiosité d’Aristote est insatiable et s’étend à tout. Mais Aristote veut savoir et comprendre, non s’amuser au récit des faits : l’histoire n’est pour lui qu’un instrument de la science, les faits n’ont de valeur que comme véhicules de l’idée.

VII. Logique. Aristote veut connaître les faits, non seulement en tant qu’ils sont, mais en tant qu’ils doivent être ; il veut résoudre le contingent au nécessaire. Il lui faut donc, tout d’abord, rechercher les conditions sous lesquelles l’esprit conçoit quelque chose comme nécessaire ; en d’autres termes, il lui faut premièrement envisager la science dans sa forme, abstraction faite de son contenu :


c’est l’objet de la logique. Les textes relatifs à cette partie de la philosophie sont les οργανικά, savoir : les Catégories, l’Hermeneia, les Analytiques premiers et derniers, les Topiques et les Arguments sophistiques. — La logique est la détermination des lois du raisonnement et des conditions de la science. Aristote distingue, dans la connaissance, la forme et la matière, et considère la forme comme ayant une existence et des lois propres. Son existence consiste dans la réalité des concepts, ou idées générales unes, exactement déterminées quant à leur compréhension et quant à leur extension. Sa loi fondamentale est le principe de contradiction : « Il est impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas à un même sujet, considéré sous un même rapport. Il y a d’ailleurs, selon Aristote, proportion et accord entre la pensée et l’être ; et, par suite, notre philosophe ne se fait pas faute d’admettre dans sa logique maint élément d’un caractère métaphysique. La logique aristotélique est une analyse rationnelle des conditions auxquelles doit satisfaire un raisonnement pour que la conclusion en soit conçue comme nécessaire. Il ne s’agit pas de savoir comment, en fait, nous raisonnons, mais comment doit être construit un raisonnement pour que la nécessité de la liaison qu’il établit apparaisse immédiatement et irrésistiblement comme évidente. C’est pourquoi le problème de l’analyse psychologique du raisonnement naturel, qu’a indiqué Locke, ne saurait être substitué à celui d’Aristote que si l’on admet la réduction du nécessaire au contingent, de l’idéal au réel, du précepte au fait, de l’art à la nature. — Il nous faut distinguer : 1° les instruments de la pensée ; 2° le rôle et la valeur de ces instruments dans la constitution de la science. — a. Les instruments de la pensée sont les notions, les propositions et le raisonnement. — 1. Sous le titre général de notions se rangent les catégorèmes ou prédicables, les catégories ou prédicaments, et les notions de rapports logiques. Les catégorèmes sont les notions universelles qui présentent les modes généraux suivant lesquels une chose peut être énoncée relativement à une autre. C’est ce qu’on appelle les universaux, savoir : le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident. Les catégories sont les genres irréductibles des mots et, par suite, des choses, car les classes des mots sont les classes mêmes des choses. Ce sont les genres suprêmes. Elles sont au nombre de dix : 1° Essence, ex. : homme, cheval ; 2° quantité, ex. : long de deux aunes ; 3° qualité, ex. : blanc ; 4° rapport, ex. : double, moitié ; 5 lieu, ex. : au lycée ; 6° temps, ex. : hier ; 7° situation, ex. : être couché, assis ; 8° manière d’être, ex. : être chaussé, armé ; 9° action, ex. : couper, briller ; 10° passion, ex. : être coupé, brûlé. Les catégories se divisent en deux classes, l’essence constituant la première, elles neuf autres catégories la seconde. Cette table des catégories parait dressée empiriquement par la comparaison des mots entre eux. Elle diffère entièrement de celle de Kant, qui présente les différentes manières de lier a priori et nécessairement le divers d’une intuition en général, c.-à-d. de ramener ce divers à l’unité de l’aperception transcendentale. Les rapports logiques des termes entre eux sont : l’identité et l’opposition, cette dernière comprenant la contrariété, la contradiction, et le rapport de privation à possession. Le principe relatif à l’opposition est que deux termes opposés entre eux relèvent toujours d’une seule et même science. — 2. Les propositions résultent de l’assemblage des concepts. Elles sont affirmatives ou négatives, universelles ou particulières. Seules, elles comportent vérité ou erreur, tandis que les concepts isolés ne sont ni vrais ni faux. La conséquence n’est pas la même, si deux jugements sont entre eux contradictoires, ou simplement contraires. Deux jugements contraires ne peuvent être vrais l’un et l’autre, mais ils peuvent être faux. De deux jugements contradictoires, l’un est nécessairement vrai, l’autre faux : cela résulte du principe du milieu exclu, expression particulière du principe de contradiction. Les propositions comportent