Page:Grande Encyclopédie XXIX.djvu/999

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— iuy —

SELLE

leurs grandes bâtes qui ont jusqu’à (iO centim. de long, tandis que les arçons en mesurent 40 et 50 de hauteur, ne nécessitaient point de pareils contreforts d’acier parce que l’arçon de derrière, en manière de dossier de fauteuil, se dressait perpendiculairement au plan du siège. Une stdle de joute allemande, conservée à la Tour de Londres, fournit un magnifique exemple de ces constructions singulières où le siège devient un pur accessoire, toute la masse étant dans l’arçon de devant et ses immenses bûtes en gouttière. Elle montre ce qu’était au xv c siècle l’art du chapuiseur, c.-à-d. du charpentier qui dressait les bois d’une selle de cette manière. Les chapuiseurs de Paris formaient une corporation dont les statuts furent relevés au milieu du xiu e siècle par Etienne Boileau ; ils étaient d’une excessive sévérité, notamment pour la qualité des bois à employer. C’est qu’alors les grandes selles d’armes commençaient à être en usage et qu’elles demandaient les mêmes garanties de solidité qu’on exigea pendant les deux siècles qui suivirent. Il faut remarquer que ces selles de joute ou d’armes n’avaient pas leur siège sensiblement plus hauts que dans les selles modernes, encore qu’il fut façonné davantage en dos d’une. Et si les cavaliers paraissent, dans les manuscrits à miniatures, portés très haut sur leurs montures, c’est qu’ils sont dressés sur leurs étriers comme je l’ai expliqué plus haut. Des étriers je ne parle que pour mémoire, renvoyant à l’article où j’ai traité le mot. Sans préjuger de leur date probable, je dirai qu’ils sont certainement beaucoup plus anciens qu’on ne pense et que l’on apprendra quelque jour que les Iraniens en portaient avant Jésus-Christ. On ne peut toutefois préjuger de ces choses. Le mode d’attache des étrivières à la selle est de deux sortes. Longtemps on fixa les étrivières à une forte pièce de cuir appelée chapelet qui coiffait le pommeau de la selle, et cette disposition persista dans les selles de manège jusqu’au xvm e siècle à cause de la commodité qu’elle présentai ! pour enlever à volonté les étriers ou pour les remettre. Le chapelet existe encore aujourd’hui dans les selles d’armes et de voyage, il sert à boucler des sacoches ou des fontes. Dans le second type, les étrivières sont attachées un peu en arrière de l’arçon de devant, au bâti même de la selle, et cela par un fort anneau empâté dans la racine des montants. Souvent, dans le type indien, les étrivières sont passées autour de chacun de ces montants.

Les différences qui existèrent au moyen âge entre les diverses sortes de selles tiennent aux services qu’on attendait de chacune. Mais si les selles de guerre et de joute nous sont bien connues, au moins à partir du xiv e siècle, les selles d’usage courant pour le voyage et les chevauchées d’agrément le sont beaucoup moins. Leurs arçons, comme on le sait cependant, étaient plus bas, elles n’avaient point de grandes bâtes, leur siège était sans doute mieux rembourré, surtout pour les selles de femmes, car à ces époques les femmes montaient à califourchon comme les hommes, parfois aussi voyageaient-elles assises sur un bât avec les pieds appuyés sur une planchette attachée par des étrivières du côté montoir. La différence essentielle qui devrait séparer la selle du bât est que ce dernier est un siège dont les arçons sont réunis d’un seul côté par une traverse horizontale plus ou moins haute, formant dossier. Les selles du xvi e siècle ne s’éloignent pas sensiblement de celles du xv° comme architecture fondamentale. Les selles d’armes ont leurs" arçons extérieurement garnis d’acier comme leurs bâtes, mais ces dernières vont toujours en diminuant de longueur, celles de l’arçon d’arrière tendent de plus en plus à disparaître. Dès l’époque de Henri II, les modèles archaïques ont fait place à une forme moyenne qui rappelle beaucoup la selle militaire actuelle, encore que les arçons en soient plus hauts. Les selles de joute n’existent plus comme catégorie spéciale, et cela pour deux raisons. Déjà, dans la seconde moitié du xv e siècle, on avait imaginé le hourd. C’était un collier de paille longue piquée, revêtu de doubles de toile, et qui, passé au cou du cheval, formait une véritable muraille protégeant et le poitrail de la bête et les jambes du jouteur. Puis on renonça dans les joutes à se charger à carrière ouverte, mais on y substitua la coutume de galoper la jambe gauche contre une barrière qui, séparant la lice en deux longs couloirs, s’élevait à hauteur de la taille du cavalier. Chacun, galopant d’un coté de cette barrière, dirigeait sa lance au-dessus contre le buste ou la face de son adversaire. Dans une pareille rencontre, tout ce qui était au-dessous de la ceinture n’avait plus besoin d’être armé, aussi les grandes bâtes et les cornes des arçons disparaissent-elles ; on protège seulement les jambes de l’homme par des fourreaux d’acier emboutis, suspendus aux panneaux de la selle, et qu’on appelle garde-jambes. Leur usage même ne dépasse guère l’époque de Henri H. L’architecture orientale des selles commence dès lors à disparaître devant le parti occidental qui prévaut d’habiller complètement le siège avec une peau uniformément tendue que recouvrira longtemps encore une garniture de velours piqué. Je crois qu’on ne fit jamais de selles d’armes ni de voyage plus parfaites que celles qui furent de mode depuis Henri III jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, et la preuve de leur excellence, c’est qu’on s’en servit même cent ans plus tard, sinon pendant deux siècles. Le siège large, confortable, à panneaux carrés, se complète par des arçons de.hauteur moyenne, soigneusement rembourrés en dedans, coupés carrément à leur partie supérieure ou arqués suivant des courbes très ouvertes. L’arçon de devant retombe sur les côtés en bâtes moyennement saillantes où vient buter et s’assurer le genou. Telle fut la selle française ancienne dont le modèle s’est conservé dans les académies et les manèges sous le nom de selle à piquer. On l’appelait ainsi parce que le cavalier y trouvait l’assiette indispensable pour le difficile maniement de la lance, que ce fut l’ancienne arme de guerre ou la bourdonnasse plus courte et surtout plus légère dont on usait dans les carrousels. Au xvm e siècle encore, les statuts de la corporation des selliers exigeaient de l’apprenti qui voulait passer maître un chef-d’œuvre qui n’était autre qu’une selle, dite de gendarme, construite sur ce type qui résume toutes les perfections apportées depuis l’époque byzantine à un même objet. Viollet-le-Duc a donné un excellent dessin d’après une selle empruntée au fameux jeu d’échecs dit de Charlemagne. Entre ce type qui peut dater du xi e siècle et la selle à piquer, il n’existe pas de différences fondamentales, sinon dans la saillie des quartiers beaucoup plus accentuée dans le type moderne. On est en droit de se demander pourquoi la selle anglaise actuelle a prévalu contre ces modèles si solides et si pratiques. Sans doute, les mêmes raisons sont-elles intervenues qui ont fait préférer le fleuret à l’épée dans Yescrime (V. ce mot). — C’est que l’équitation qui a, dans la période actuelle, poussé la notion scientifique jusqu’à ses dernières conséquences, tend de plus en plus à devenir une science théorique. C’est que le cavalier tend à devenir de moins en moins un combattant pour se faire de plus en plus un éclaireur. La selle était trop intimement liée à la lance et à l’épée pour ne pas disparaître avec celles-ci. Du jour où le cavalier préféra l’arme à feu à l’arme blanche, il n’eut plus besoin d’une grande solidité à cheval. Obligé à une mobilité extrême, il dut de plus en plus s’exercer à la voltige pour faire office de fantassin monté. On remarquera que les peuples qui ont gardé le goût de combattre à cheval n’ont pas abandonné les anciens modèles. Une remarque s’impose, toutefois : elle servira à montrer combien sont singuliers les courants d’échange qui se font entre les peuples. La selle dite arabe, si usitée en Algérie, notamment, se rapproche beaucoup plus des types de moyen âge que des modèles orientaux, principalement par la hauteur singulière de son troussequin. Dans les selles vraiment orientales, c’est l’arçon de devant qui est toujours le plus élevé. Cette construction est la plus judicieuse parce qu’elle protège le ventre du combattant contre les coups de pointe.