je jetterais mon violon aux orties, et je ne ferais plus danser que vos enfants sur mes genoux. Pastourel soupira encore.
Irma et Fanny répondirent par une moue à l’allocution paternelle.
— À mon tour, dit Irma, de vous faire remarquer quelque chose. Voyez-vous cette calèche qui entre dans la cour ? une dame en descend ; comme elle est élégante et parée ! Pour elle notre voisine la fleuriste sera trop heureuse de quitter sa table et de laisser son dîner ; elle s’inclinera devant elle, l’accablera de salutations, se fera humble et petite ; tout cela pour qu’elle joigne à sa commande de fleurs un billet pour la représentation de demain. Cette dame, c’est la première danseuse de l’Opéra ; elle gagne trente mille francs par an ; toutes les fois qu’elle danse, on la couvre de bouquets et de bravos. Un jour nous serons comme elle ; nous aurons un équipage ; vous verrez briller sur l’affiche les noms de vos deux filles, mesdemoiselles Pastourel 1re et Pastourel 2me ; vous lirez notre éloge dans les journaux ; vous nous accompagnerez dans une bonne chaise de poste quand nous irons en congé.
— Mais vous n’avez pas seulement débuté, reprit le père, souriant à demi à la perspective qu’Irma venait d’ouvrir devant ses yeux.
Ce fut Fanny qui lui répondit :
— Dans un mois nous ferons partie du corps de ballet, sans compter qu’aujourd’hui même, en me voyant prendre ma leçon, le professeur a dit : « Voilà une pirouette qui avant un an ira à Londres. »
— Le professeur a dit cela ?