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MIEUX VAUT MARCHER

eût fait attendre au delà de l’heure indiquée. Aussi avaient-ils résolu de l’en faire repentir, et, d’après leurs ordres, on avait commencé la représentation d’une comédie jouée par d’excellents acteurs de Nan-King. Lorsque M. Hou-Kong parut à l’entrée de la salle, un seul domestique était là pour l’introduire sans aucune cérémonie. Les meilleurs siéges étaient occupés par Yang-Koueï-Tchong et Kao-Ly-Sse, qui n’en avaient réservé aucun à leur hôte retardataire. Celui-ci, plein de confiance, avança pourtant jusqu’aux premiers gradins ; mais il vit toutes les banquettes occupées par une foule de lettrés subalternes qui ne firent pas mine de l’apercevoir, et dont aucun ne se leva pour lui offrir une place.

Afin d’attirer les regards, M. Hou-Kong salua profondément et à plusieurs reprises le premier ministre, frère de l’impératrice, qui ne détourna pas seulement les yeux de la scène, et feignit de ne point prendre garde à l’arrivée du nouveau spectateur.

Découragé de ce côté, le poëte saisit un moment favorable, et, surprenant le duc Kao-Ly-Sse, qui le lorgnait en dessous, il lui adressa une magnifique révérence. Le duc ne riposta que par un léger signe de tête. Hou-Kong, déjà mécontent et le cœur serré, mais n’osant toutefois battre en retraite, chercha un asile sur les gradins les plus éloignés du théâtre ; mais la valetaille qui s’en était emparée, voyant un pauvre homme en l’honneur de qui pas un des lettrés n’avait voulu se déranger, ne prêta aucune attention à cette manœuvre. Le poëte allait réprimander un de ces marauds si peu polis, quand, aux premiers mots qu’il prononça, une rumeur s’éleva du côté des premiers gradins.