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L’ÂNE DE PLUSIEURS

nant cette nouvelle, Jacquot devint fou de désespoir ; quand on voulait lui mettre son bât, il se roulait par terre ; si on le conduisait à la ville, il quittait brusquement le grand chemin et courait comme un insensé dans la campagne, recherchant la solitude des forêts pour braire à l’écho le nom de son Amaryllis. Il en fit tant et tant que le meunier le vendit pour s’en débarrasser.

Son nouveau maître était un loueur d’ânes de Montmorency. Le temps et l’éloignement rendirent à Jacquot une partie de son ancien calme. La condition dans laquelle il se trouvait n’était pas trop mauvaise. On n’avait pas pour lui les mêmes soins ni les mêmes attentions que dans la famille du meunier ; le bourgeois était grossier, mal parlant, et très-prompt à se mettre en colère ; il n’entendait plus la meunière lui dire de sa douce voix : Allons, Jacquot, du courage. Mais quelquefois des grisettes de Paris caressaient sa crinière courte et épaisse ; elles tendaient leur tablier devant lui pour que sa grande bouche vînt y saisir quelque bon gros morceau de galette ou de pain d’épices ; puis elles montaient sur son dos et couraient dans les bois, riant, folâtrant, causant de leurs amours ; tout cela rappelait à Jacquot sa blanche Jacqueline, il songeait aux lieux qui l’avaient vu naître, au moulin, et il ne se trouvait plus aussi malheureux qu’il avait craint de l’être quand on l’amena pour la première fois à Montmorency.

Rien n’est durable sur cette terre, pas même ces semblants fallacieux qu’on est bien forcé, faute d’autre chose, de prendre pour le bonheur. L’été avait été pluvieux, les amoureux s’étaient vus forcés de rester à la ville ; quand vint l’hiver, le loueur d’ânes fut obligé de réduire son personnel.