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LA BREBIS SUR LA MONTAGNE

riste, attendu que depuis huit jours elle avait quitté la chambre qu’elle occupait dans les combles du palais pour se rendre à la foire de Sinigaglia, où elle allait figurer comme prima donna dans une troupe d’opéra fraîchement recrutée.

— Il est donc écrit là-haut, dit le prince d’un ton de dépit, qu’une simple choriste me contrariera dans toutes mes volontés ! Quoi ! je veux qu’elle se taise, et elle chante du matin au soir ! je veux qu’elle chante, et la voilà qui s’envole ! Décidément, il y a là quelque sortilége.

Cinq ou six années après cette aventure, le prince Agnolo-Bernardo Antivalomeni avait entièrement perdu le sommeil ; mais cette fois, ce n’était qu’à lui-même qu’il devait s’en prendre : malgré son âge, son embonpoint, sa perruque à quatre marteaux et la fierté de sa race, le prince s’était laissé prendre d’amour pour une chanteuse qui faisait les délices du théâtre San-Carlo.

On représentait alors un des premiers opéras du fameux Leo, ce compositeur par excellence, dont nos grands-mères écorchaient encore par tradition quelques refrains. La chanteuse, qui jouait le principal rôle, enlevait tous les suffrages ; elle rentrait chaque soir dans sa loge avec plusieurs volumes de sonnets que ses admirateurs avaient lancés à ses pieds. Quant aux bouquets, on les lui prodiguait avec tant d’abondance, qu’elle se trouvait comme retranchée dans une enceinte continue de lis, d’œillets, de jasmins et de roses.

Le prince était l’adorateur le plus passionné de la cantatrice en renom ; mais il avait en vain déclaré sa