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MOUCHE NE S’ATTAQUE.

Maître Jean, le cœur ulcéré, s’arrêta devant la porte du Pot Éternel, la principale auberge d’Yvetot. Plusieurs personnes réunies autour d’une vaste table se livraient au plaisir de boire, qui est l’occupation la plus importante des habitants de cet heureux pays. Dès que maître Jean parut, on s’empressa de lui faire place, mais lui refusa de s’asseoir.

— Qu’avez-vous donc, maître Jean, vous si gai d’ordinaire, que vous refusiez de boire un verre de cidre avec nous ?

— Je n’ai pas soif, répondit maître Jean avec l’air du père de Rodrigue après le soufflet de don Gomès.

— Vous ne refuserez pas du moins de casser un morceau de cette excellente galette, préparée par la main inimitable de notre belle hôtesse.

— Je n’ai pas faim.

Maître Jean n’a ni soif ni faim, se dirent tous les spectateurs consternés ; il doit s’être passé quelque chose de bien extraordinaire. Voyons.

— Maître Jean, dirent-ils tous à la fois, quel grand malheur vous est donc arrivé ?

— La gelée a-t-elle brûlé les fleurs de vos pommiers ?

— Votre femme est-elle malade ?

— Quelque méchante fée a-t-elle fait tourner votre cidre de l’année dernière ?

Maître Jean, pour toute réponse, enfonça son large chapeau de feutre sur sa tête grise, et leur dit :

— Vous êtes tous des lâches.

— Comment ! des lâches ? s’écrient les buveurs.

— Que buvez-vous maintenant ? reprit maître Jean.

— Du cidre de Montreville, nous n’en voulons jamais d’autre.