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ZÉPHYRINE.

aussi ardente que possible, la discussion se traînait péniblement au milieu de l’indifférence générale, et menaçait même de s’éteindre, lorsqu’une voix, partie d’un des angles du salon, s’écria tout à coup : — Si je vous contais une histoire ?

— Une histoire de revenants ? demanda une jeune dame blonde, qui avait proposé pour sujet de proverbe :

qui aime bien, tard oublie.

— Les revenants sont passés de mode ; mais il s’agit d’une histoire d’amour, ce qui vaut bien tous les spectres d’Anna Radcliffe.

Nous dirons tout de suite au lecteur impatient de connaître celui qui va lui raconter une histoire d’amour, qu’il se nomme D…, qu’il est notaire à la résidence de C…, âgé de trente-quatre à quarante ans, portant des lunettes, et renommé pour son esprit dans tous les châteaux de l’arrondissement d’A…

D… prit place devant la cheminée, et, le coude renversé, la jambe droite posée sur la gauche, la botte en pointe, il commença ainsi :

— Vous vous étonnez sans doute, Messieurs et Mesdames, qu’un garçon aussi bien tourné que moi, jouissant de toutes ses facultés et d’une étude bien achalandée, soit resté célibataire. Ne vous hâtez pas de me juger ; n’allez pas croire que je sois resté constamment insensible aux traits de Cupidon. Mon cœur de notaire a battu, trop battu même ; et l’amour, qui depuis Troie a perdu tant de choses, a été la cause de ma ruine, je veux dire de mon célibat. Je vais vous révéler ce mystère ; écoutez la confession d’un enfant du siècle.