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À QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BON.

Dans les premières années qui suivirent la révolution de juillet, mon père m’avait placé chez un notaire de ses amis. J’avais un cœur de vingt ans, un habit de vingt ans, en un mot toutes les passions et tous les charmes de la jeunesse. Mes larmes coulent rien qu’en songeant à ce temps heureux où l’âme chasse aux papillons, où l’on est blond, où l’on est habillé en drap bleu-barbeau.

Pénétré des devoirs qu’impose la cléricature, je n’avais encore gravé dans mon cœur que quelques articles du Code de procédure civile, lorsqu’un matin, en m’asseyant devant mon bureau, je vis sur la grande place, en face de la fenêtre de l’étude, une image dont le souvenir gracieux me poursuit encore. C’était une toile de plusieurs pieds de haut, représentant une femme sauvage avalant des cailloux et des lames de sabre ; je la vis, et soudain j’en devins amoureux.

— De la femme sauvage ? demanda la marquise.

— De Zéphyrine, de l’adorable Zéphyrine ! Elle se tenait debout montrant la toile avec sa baguette. Immobile contre la vitre, je l’admirais accueillant les amateurs avec un irrésistible sourire, et recevant les gros sous de sa main blanche et agile. Je la vois encore, le bras arrondi sur la hanche, la taille cambrée, l’œil noir, le teint nuancé de rose, la narine mobile, le nez vif et droit, son jupon bleu chamarré de paillettes laissant voir ses jambes mignonnes, auxquelles s’attachaient deux pieds de fée. Je vous épargne l’ennui de mes premières émotions ; je ne vous dis ni mes regards ardents, ni mes soupirs de flamme, ni mes lettres frénétiques…

— Vous écrivîtes à Zéphyrine ?