Page:Grave - La Grande Famille.djvu/69

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incapable de travailler, avait dû, avec sa dernière fille, accepter l’hospitalité d’un parent éloigné.

Jamais Caragut n’avait tant souffert de cet isolement et de sa pauvreté. Il sentait sa soif redoubler en voyant les autres aller boire, et il dut faire appel à toute son énergie pour refouler les larmes de rage autant que de désespoir qui lui brûlaient les paupières.

Enfin le clairon sonna le rassemblement, chacun reprit sa place derrière les faisceaux, et le bataillon se remit en marche encore une fois.


On avait quitté le village depuis près d’une demi-heure, la colonne suivait un de ces chemins creux, étroits, raboteux, sinueux, si nombreux en Bretagne : encaissés entre deux levées de terre couronnées de haies d’épines et de chênes rabougris qui masquent complètement les champs qu’elles entourent ; défoncés par les charrettes, détrempés par les pluies qui tombent continuellement, rien de plus mauvais pour la marche d’une troupe. Les pieds enfoncent dans la boue, il faut sauter d’une pierre à l’autre pour ne pas barboter comme des canards : on a les jambes brisées quand on en sort.

Parfois, la colonne se trouvait arrêtée par une flaque d’eau emplissant le chemin sauf une étroite voie où l’on ne pouvait s’engager que l’un après