Page:Grave - La Société future.djvu/368

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ses, le frisson des mots suffisent à rendre une œuvre parfaite, à plonger l’artiste dans une béatitude complète. Qu’il se garde, surtout, d’essayer d’y introduire ses pensées, s’il en a, sur notre monde, sur l’avenir de nos sociétés. Le véritable artiste se suffit à lui-même.

Oser concevoir qu’en dehors de la jouissance des yeux et des oreilles, l’œuvre puisse éveiller le raisonnement de celui qui lit, voit ou entend, est un blasphème épouvantable, un crime de lèse-art. C’est vouloir le déshonorer que d’oser concevoir que l’œuvre, par exemple, puisse être une arme de combat, mise au service d’une idée.

Pour ces intransigeants l’art est une chose trop élevée, trop au-dessus du raisonnement de la foule. Ce serait le déshonorer de chercher à le rendre compréhensible à tous.

Nous n’avons pas dit de le mettre à la « portée de la foule », ce qui impliquerait, en effet, une idée de castration de l’idée et de la forme, ignominie dont l’artiste consciencieux doit, en effet, se défendre avec énergie. Se rabaisser pour capter les suffrages de la foule, est aussi plat que de se masturber l’idée pour attirer les regards du public acheteur. Mais on peut chercher à rendre une idée compréhensible, éloigner les obscurités voulues, chercher une façon claire de dire les choses, de façon à empoigner le cerveau des plus obtus, et provoquer chez eux une série de raisonnements qui les amènent à saisir un coin de l’œuvre. Nous croyons même que c’est là, la tendance de tout art, et qu’il est bien plus facile de planer dans les hauteurs en restant incompréhensible, que d’être clair et précis, tout en restant impeccable dans la forme.