Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/141

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À la tombée de la nuit, on me fit quitter cette cellule pour me mener dans une pièce où se trouvaient deux gardiens qui m’intimèrent de me déshabiller et d’endosser un costume de prisonnier.

Je refusai, excipant de ma « qualité » ! de condamné politique, demandant à voir le directeur, que l’on alla chercher ou plutôt qu’on fit semblant d’aller chercher.

Le directeur était sorti, Je demandai à voir l’inspecteur. L’inspecteur était sorti ! Je demandai à voir l’instituteur qui, me dit-on, le remplaçait. Même comédie que pour le directeur et l’inspecteur. C’était l’administration Benoiton. Tout le monde était sorti !

Je discutaillai quelque temps, refusant d’endosser le costume qu’on me présentait. Mais quoi ? Je n’étais pas de taille à résister à deux gardiens. Au surplus, cela en valait-il la peine ? Je m’exécutai.

Mais ce n’était qu’un prélude. Le lendemain on m’apporta un billot, une vieille râpe et, avec cela, je devais décortiquer des noix de corrozo dont on me laissa plein un sac.

Je me mis au travail. Après tout, c’était un dérivatif. Je tapais comme un sourd sur les noix. Mais, parfois, je tapais à faux, le coup n’était pas perdu pour mes doigts.

Malgré tout, ne pouvant supporter le costume de prisonnier, j’écrivis à Saint-Auban pour l’informer du fait.

Le lendemain ou surlendemain, en tout cas c’était un dimanche, je fus appelé au parloir des avocats. Saint-Auban m’attendait.

Je lui racontai — il était à même de le voir, du reste — que l’on m’avait forcé à prendre le costume de prisonnier.

Mais est-ce la rage de n’avoir pas été capable de dire tout ce que j’aurais eu à dire, la solitude, l’énervement ? Je me mis à fondre en larmes comme une Madeleine en lui racontant mes désagréments, l’adjurant de n’y point faire attention, que c’était tout simplement nerveux.

La crise calmée, je pus finir tranquillement de raconter mon affaire. Mais les coups que je m’étais donnés sur les doigts avaient occasionné de gros pinçons que j’étais en train de percer lorsqu’on m’avait appelé au parloir. Mes mains saignaient et, tout en racontant mon histoire, j’étanchais le sang avec mon mouchoir. J’eus à expliquer d’où ça venait.