Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/147

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journalistes coupables d’avoir montré leurs sympathies à l’idée anarchiste.

Outre cela, il me donna quelques nouvelles du dehors, et me promit de revenir. Mais, sans doute, il ne put obtenir l’autorisation, car je ne le revis pas.

Un autre jour, j’aperçus une partie de visage se dessiner au judas de la porte de ma cellule, et une voix me demanda si j’étais bien Jean Grave. Sur mon affirmation, la voix me demanda comment je me trouvais, « Pas mal, fis-je ». — « Je vois, continua la voix, que vous prenez votre situation philosophiquement. Mais on s’occupe de vous au ministère de la Justice, Prenez patience ».

Que l’on s’occupât de moi au ministère de la Justice ! J’étais bien trop payé pour ne pas m’en apercevoir. Appelé à exprimer mon opinion, j’aurais même dit que l’on s’en occupait un peu trop.

Qui était-ce ? De quelle façon s’occupait-on de moi ? Je ne l’ai jamais su.

Par ma parente, j’avais aussi appris que Méreaux, l’ex-gérant du Révolté, avait été arrêté. Qu’il avait eu une crise de folie furieuse, que l’on avait dû le mettre dans une cellule capitonnée.

Pendant les huit mois qui s’écoulèrent depuis mon arrestation jusqu’au procès des Trente, je n’allai, pour les deux procès, pas plus de quatre à cinq fois à l’instruction.

J’y fus une fois appelé pendant que j’étais à la Conciergerie pour La Société mourante. On me fit passer par le boulevard du Palais. Comme on m’avait enlevé ma ceinture et que mon pantalon, un peu trop large, me tombait sur les talons, j’étais forcé de le tenir d’une main, pendant que le garde municipal me tenait l’autre poignet par les menottes. J’avais l’air d’un véritable apache. Je vois encore le regard d’horreur que me lancèrent deux vieilles dames que nous croisâmes.

Un autre jour — j’étais retourné à Mazas — je fus à nouveau conduit devant l’ineffable « Mayer ». Dans son cabinet se trouvait déjà Gauche. Se précipiter l’un au-devant de l’autre, se serrer la main, ça fut fait en un clin d’œil. C’était si bon, enfin, de voir la figure d’un honnête