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Cafiero, Malatesta, Tcherkesoff, furent aussi des visiteurs du groupe. Je dis visiteurs, parce qu’ils ne tardèrent pas à être expulsés de France.

Le 18 mars 1880, le groupe décida de porter une couronne au mur des Fédérés. Nous eûmes la bêtise de laisser porter la couronne par Malatesta, et un jeune Grec, qui l’accompagnait. Tout alla bien pour la traversée de Paris, mais, arrivés rue de la Roquette, les agents se précipitèrent sur les couronnes, Malatesta voulut résister. Ce voyant, le jeune Grec, qui était un fanatique de Malatesta, sauta sur les agresseurs, tapant comme un sourd. Tous deux furent emballés et expulsés, ce qui ne serait pas arrivé si la couronne avait été portée par des Français. Quelque temps auparavant, Tcherkesoff avait été arrêté sur la place du Panthéon, au sortir d’une réunion au « Vieux Chêne ». Jeallot qui l’accompagnait, ayant voulu prendre sa défense et résister, attrapa six mois de prison. Tcherkesoff fut expulsé.

Tcherkesoff était un prince géorgien, de bonne heure affilié au mouvement révolutionnaire en Russie, et qui, traqué, avait dû se réfugier à l’étranger. Doué d’une voix douce, presque chantante, il aidait beaucoup dans les discussions.

De sa principauté, il ne lui restait que ses deux bras pour gagner sa vie, mais il n’avait aucun métier.

Il me raconta ses débuts comme peintre en bâtiment. Il avait réussi à se faire embaucher — je ne dirai pas sans avoir jamais touché à une brosse, car il avait peint quelques tableaux.

Par la façon même dont il tenait la brosse qu’on lui avait confiée, le compagnon qui travaillait à côté de lui s’exclama : « Mais tu n’as jamais été barbouilleur de ta vie » !

— Non, fit piteusement Tcherkesoff.

Le copain était un bon zigue. Il donna quelques conseils, quelques retouches, l’aida de son mieux, pour cacher son