Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/207

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Dans ses conférences, il s’appesantissait fréquemment sur les questions de sexualité, s’étendant avec délices sur l’accouplement, cherchant les mots les plus crus.

Mais cela ne s’était développé que peu à peu, au fur et à mesure qu’il s’ancrait dans le mouvement. Au début ses lapsus nous semblèrent des excentricités dues à sa faconde méridionale. Il fallut quelque temps pour le juger à sa valeur propre.

Dans les manifestations, aux prises avec les agents qui voulaient l’arrêter, il avait le truc de se laisser couler à terre et là, de jouer de ses béquilles avec vigueur contre ses assaillants. Ce qui lui donnait une auréole.

Un anarchiste qui, dans une bagarre, se colletait avec les agents, attrapait toujours quelques mois de prison. Il faut avouer que Libertad s’en tirait à meilleur compte. Huit ou quinze jours de prison au plus, quand il n’était pas relâché libre de poursuites. Au début, nous pensions que son infirmité apitoyait les juges.

Un soir, il vint à l’École Libertaire. La soirée était avancée, il n’y avait qu’Ardouin, moi et deux ou trois autres camarades. Je ne sais comment il en vint à nous raconter son « histoire ».

Il était le fils d’un haut fonctionnaire, ou, pour être plus exact, ce n’était son père que d’après la loi, sa mère ayant eu une « faiblesse » pour un ami de la maison. Le père putatif, pour ne pas avoir d’histoire entravant sa carrière, accepta l’enfant, mais celui-ci fut négligé, maltraité. Son infirmité n’était que la suite de cette négligence et de ces mauvais traitements.

Mais Libertad — c’est toujours lui qui parle — ne gardait aucune rancune contre son pseudo-père. Il lui pardonnait sincèrement, comprenant fort bien ce que son intrusion avait eu d’amer pour lui.

Il racontait cela d’un air bonasse, avec tant de componction, que nous en avions tous la paupière humide. Même moi, tout vieux dur-à-cuire que je sois.

Seulement, j’appris plus tard qu’il avait raconté son histoire à divers autres et, chaque fois avec de notables variantes. Il l’avait, je suppose, inventée de toutes pièces